mercredi 30 mai 2018

Prisonnier des Cythriennes (6)


Le même car. Le même itinéraire. Les mêmes gardiennes. Les mêmes rues claires et dégagées. Les mêmes magasins illuminés. Les mêmes coquettes petites maisons dans lesquelles il doit faire si bon vivre. Pourquoi ici ? Pourquoi elles ? Les larmes me montent aux yeux. Je m’efforce, tant bien que mal, de les retenir.

Et le même stade.
Un car vient se garer à côté du nôtre. Deux autres encore.
Gamelot fait la grimace.
– Et zut ! C’est une générale.
– Ce qui veut dire ?
– Que, contrairement à ce qui se passe d’habitude, où on s’entraîne par petits groupes, tous les SIB qui défendent les couleurs de l’amillon trois vont être, aujourd’hui, confrontés les uns aux autres.
– Et ça change quoi ?
– Qu’il va pas faire bon perdre. Que ceux qui obtiendront les plus mauvais résultats, dans chaque discipline, le payeront cash. Ils se ramasseront sur le champ une mémorable fouettée.
– Et voilà pourquoi elles sont si nombreuses aujourd’hui.
Trois à quatre mille, au moins, entassées dans les gradins. À faire tout un brouhaha.
– T’as tout compris. D’autant qu’un jour de générale, ce ne sont pas les gardiennes qui manient le fouet, mais des spectatrices tirées au sort. Alors tu penses bien que toutes celles qui le peuvent sont là. Des fois que la chance leur sourie…
– Elles tapent fort ?
– Ah, ça, je peux te dire qu’elles y mettent tout leur cœur. Vaut mille fois mieux avoir affaire aux gardiennes.
Un type s’est approché.
– Salut ! Toi aussi, c’est le saut en longueur à ce qu’il paraît ? Oui ? On est quatre alors. Et tu fais combien sans indiscrétion ?
– Sept mètres… Sept cinquante… Ça dépend.
Il fait la grimace.
– Et toi ?
Il ne répond pas. Il s’éloigne.

Le silence s’installe. D’un coup. Une Cythrienne, munie d’un micro, vient de grimper sur l’estrade de fortune qu’on a dressée face aux tribunes. Une autre plonge la main dans une urne, en retire un billet qu’elle lui tend.
– Kebasela !
Un cri de joie dans les gradins. Une fille blonde, d’une vingtaine d’années, dévale les marches à toute allure, escalade, tout aussi vite, celles du podium. On lui tend un fouet qu’elle fait claquer en l’air avec ravissement.
– Bathelare !
Une autre, plus âgée, la cinquantaine bien sonnée, mais tout aussi enthousiaste.
– Vadoline.
Des noms. Encore des noms. Des femmes. Des Cythriennes. Une dizaine. Des blondes. Des brunes. Des rousses. De tout âge. Qui parlent entre elles, volubiles. Qui rien aux éclats.
On les fait descendre. On les lâche parmi nous. Elles arpentent lentement la pelouse en brandissant leurs fouets, en menacent en riant celui-ci ou celui-là.
Il y en a une qui regarde dans ma direction, qui me montre aux autres du doigt. Elles viennent vers moi. Elles m’entourent.
– Je t’ai vu sauter, toi, l’autre jour !
Dans un français admirable. Quasiment sans accent.
Elle pose le bout de son fouet sur ma queue, l’y promène lentement. Les autres observent. Avec un intérêt soutenu. Et commentent. Dans leur langue. Avec force éclats de rire.
– Comment ça ballottait dans tous les sens tout ça quand tu courais ! C’était trop drôle. Qu’est-ce qu’on a ri !
La pointe du fouet se fait plus audacieuse.
– Avec un peu de chance, c’est toi qui vas y attraper tout à l’heure. Sûrement même ! Je m’occuperai personnellement de ton cas. Et je ferai en sorte que tu la pousses la chanson. Sur tous les tons. Alors ça, tu peux t’y attendre…
Elles s’éloignent dans un grand éclat de rire.

Sur la ligne de départ, « les quinze cents mètres » sont prêts à s’élancer. S’élancent effectivement sous les encouragements. Très vite, un grand brun se détache, prend sur les autres une confortable avance. Derrière, on joue des coudes à qui mieux mieux. Dans les gradins on s’agite, on tape des mains, on vocifère. Les coureurs s’égrènent, s’éparpillent tout au long de la piste. Très vite, il y en a deux qui sont irrémédiablement lâchés, suscitant, dans le public, rires et quolibets. Quand ils s’en approchent enfin, les autres ont depuis longtemps franchi la ligne d’arrivée. Ils n’en sprintent pas moins avec acharnement sous les hurlements de la foule. Le perdant – il s’en faut de quelques centimètres – est aussitôt pris en mains par deux des « heureuses élues », qui l’encadrent et le mènent, d’un pas décidé, jusqu’au podium. Elles l’y font agenouiller, face au public, et elles fouettent. À tour de rôle. En alternance. Elles fouettent. Un coup chacune. À toi. À moi. Ça s’inscrit, en longues traînées brunâtres, sur le dos, sur les fesses, sur les cuisses du malheureux. Les cris déchirants qu’il pousse ne les apitoient pas. On dirait, au contraire, qu’ils les stimulent : les claquées se font plus rapides, plus intenses.
Une gardienne me tombe littéralement dessus, manque me faire tomber d’une grande bourrade dans le dos.
– Qu’est-ce tu fabriques là, toi ? File au sautoir. Ça va être à vous.
C’est à nous. Je ne regarde pas les autres. Je les ignore. Je me concentre sur ce que j’ai à faire. Ma course d’élan. Mon pied d’appel. Plus rien d’autre ne compte. Il n’y a plus rien ni personne. Que moi.

Affalé sur son lit, Alrich gémit.
Les garces ! Non, mais quelles garces ! Dans quel état elles m’ont mis.
Faut reconnaître qu’elles y sont pas allées de main morte. Sur son dos, sur ses fesses, pas un coin de peau qui n’ait été labouré.
– Tu voudrais pas ?
– Quoi donc ?
– Dans mon armoire, il y a un grand tube de pommade. Si tu pouvais m’en passer, tu serais un amour.
Mes mains sur lui. Qui étalent. Qui massent. Délicatement. Le plus délicatement possible.
– Oh, putain, que ça fait du bien ! Je te revaudrai ça. Au centuple.
Il se détend, s’abandonne.
– Et toi ? T’es passé à travers, hein ! T’as fait quoi ?
– Deuxième. Et encore il s’en est fallu d’un cheveu que je ne termine premier. Cinq centimètres.
– Et en plus t’as une marge de progression. Tu viens d’arriver.
Il soupire.
– Ce qu’est malheureusement pas mon cas. Moi, je suis sur le descendoir.
– C’est une mauvaise passe. Ça va s’arranger.
– Je crois pas, non ! J’ai beau n’avoir que trente ans, il y a plein de petits signes qui ne trompent pas. Je récupère moins vite. J’ai moins de souffle. Mes jambes me lâchent par moments. Pas la peine que je me raconte des histoires. C’est ma dernière saison SIB. Après les Jeux, en septembre, je dégage. Si tu savais ce que j’appréhende !
Il se tait.
Ses fesses. Que je presse doucement. Entre lesquelles je me faufile. Il les écarte. Insensiblement. Plus franchement. Je m’y installe, m’approprie ses burnes. Que je malaxe. Que je fais rouler.
Il halète. Se retourne. M’attire vers lui. Vers sa queue raidie. Que je fais glisser entre mes lèvres. Dont j’enrobe le bout du bout de ma langue. Il gicle, presque aussitôt, les mains enfouies dans mes cheveux.

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