mercredi 27 juin 2018

Prisonnier des Cythriennes (10)


Alrich rassemble ses affaires. Toutes ses affaires.
– Tu vas où ? Il se passe quoi ?
– Si seulement je le savais…
Les gardiennes l’emmènent.
– Allez !
Et reviennent, presque aussitôt, en compagnie de Germie.
– Bon, ben voilà. Apparemment que je suis ton nouveau colocataire.
Il jette un coup d’œil par la fenêtre, fait la grimace.
– Question paysage, je gagne pas trop au change, dis donc !
– Et Alrich ? Elles en ont fait quoi ?
– Elles l’ont mis avec Bardolle. C’est le grand chambardement. Rapport aux deux autres qui se sont barrés. Paraît que ça nous donne des idées de rester trop longtemps ensemble dans la même cellule. Alors elles rebattent les cartes. Et sont, paraît-il, maintenant décidées à les rebattre souvent.
– C’est qui, ces types qui se sont enfuis ? On sait ?
– Un perchiste et un lanceur de poids. Groupe B. Je crois vaguement voir de qui il s’agit. Ils étaient à la générale. Forcément.
– Ils ont pris de sacrés risques quand même !
– À ce qu’il paraît qu’ils avaient des complicités à l’extérieur. Des Cythriennes qui seraient tombées folles dingues amoureuses d’eux. Il y en a qui disent que tout a été minutieusement préparé et qu’ils ont déjà passé la frontière. Et d’autres qu’elles les cachent chez elles. Mais, si ça tombe, c’est tout-à-fait autre chose. Parce que souvent moins ça sait et plus ça parle.

Samedi. Les mêmes gardiennes. Qui me remmènent là-bas.
J’essaie de protester. D’expliquer que…
– La ferme ! On t’a pas demandé ton avis.
Guizwa m’accueille sur le perron. Tout sourire.
– C’est le grand jour. Et je peux te dire qu’il y en a une qui t’attend avec une impatience… Quant à toi, tu vas pas être déçu, tu vas voir, parce que l’heureuse élue…
Elle s’arrête.
– Ça va pas ? T’en fais une tête !
– Je me suis pris une fouettée. Et une sacrée…
– C’est pas la première. Et ce sera pas la dernière. C’était quoi le motif ?
– Que je viens ici.
Elle fronce les sourcils.
– Comment ça ?
– Soi-disant que Vassilène m’a choisi. Que je suis à elle. Et que, quand je sortirai des SIB, c’est à son service que je serai.
Elle m’attrape par le bras.
– Viens ! Il faut mettre Jartège au courant. Tout de suite. C’est trop grave.
Laquelle Jartège, derrière son bureau, s’arrête d’écrire.
– Je t’écoute…
Je lui raconte. La femme dans les douches. Ses menaces. Le martinet.
– Vassilène n’a pas plus de droits sur toi que Korka. À qui je vais en référer immédiatement. Mais, sauf contre-ordre formel de sa part, c’est à elle que tu appartiens.
Et elle nous congédie d’un geste de la main.

Je soupire.
– Ça va forcément me retomber dessus, tout ça… D’une façon ou d’une autre.
– Pas nécessairement.
– Tu parles !
– Laisse-les se dépatouiller entre elles. Pour le moment, t’as beaucoup mieux à faire. La petite Manaïa. Qui doit être sur des charbons ardents.
Encore des couloirs. Des escaliers. Une porte. Une petite pièce. Avec un lit pour seul ameublement.
– Le théâtre des opérations. Vous serez bien là. Vous serez tranquilles. Même si…
Un bref regard vers les murs, le plafond.
– Il y aura des yeux partout. Faut bien qu’elles voient ce qu’elles ont loupé. Que ça les motive pour une prochaine fois. Et il faut bien aussi que d’autres, dans l’ombre, en profitent tout leur saoul.

Dans la cuisine règne un silence intense. Elles sont là, une quarantaine, regroupées près des fourneaux, qui me dévorent des yeux.
– Manaïa, allez !
Elle se précipite vers moi. Une jolie petite brunette au regard de braise, aux seins voluptueux, qui me saisit la main, la porte à ses lèvres.
– Bon. Et les autres, au travail !
Elles s’éclipsent à regret.

– Prenez votre temps ! Tout votre temps…
Et Guizwa referme sur nous la porte de la petite chambre.
On est dans les bras l’un de l’autre. Elle se presse contre moi. Mon désir vient palpiter contre son ventre. Ses mains s’approprient mes fesses, les malaxent, s’y agrippent.
– Comment tu t’appelles ?
– Hervain…
– J’ai envie, Hervain ! Non, mais comment j’ai envie ! C’est de la folie…
On roule sur le lit. Où elle s’empare de moi, m’enfouit résolument en elle. Son plaisir, éperdu, surgit presque aussitôt. Et puis le mien.
On reste rivés l’un à l’autre.
Elle soupire.
– Trois ans. Tu te rends compte ? Ça fait trois ans que… rien. Plus rien. Jamais. Je croyais pas que ça reviendrait un jour.
– Plus rien. Même entre vous ?
– Si, bien sûr ! Comme vous entre mecs, forcément. Mais c’est pas pareil. Ça pourra jamais être pareil.
Elle lève un œil vers les caméras.
– Elles regardent. J’ai eu ta semence. Elles ont vu que j’ai eu ta semence. Comme elles doivent m’envier !
Me picore le visage de tout un tas de petits baisers.
– Tu m’as fécondée, si ça tombe.
– Et il se passera quoi alors si c’est le cas ?
– Je sais pas. J’en ai parlé à Guizwa hier. Elle a rien voulu me dire. Juste de pas m’inquiéter. Plusieurs fois elle l’a répété. « T’inquiète pas ! » Et elle m’a même souri. Alors sûrement qu’ils vont me le laisser. Peut-être même qu’il y a un endroit spécial où ils mettent celles qui sont enceintes ? Il y a des filles, dans le groupe, elles pensent que oui.
Elle se presse plus fort contre moi.
– Ce serait trop bien que tu m’aies fait un bébé.
Me sollicite, du bout du pouce.
– T’en es encore ! Et pas qu’un peu… Attends ! Attends !
Elle se met à quatre pattes, derrière levé.
– Prends-moi comme ça ! Que ça me coule mieux dedans. Plus loin. Qu’on mette toutes les chances de notre côté.

mercredi 20 juin 2018

Prisonnier des Cythriennes (9)


Je suis brutalement tiré de mon sommeil par tout un remue-ménage au cœur de la nuit. Des cris. Des hurlements. Des claquements de fouet.
Alrich se redresse sur son lit, allume.
– Qu’est-ce qu’il se passe ?
– Qu’est-ce que tu veux que j’en sache ?
Ça se rapproche.
– Sortez ! Sortez des cellules ! Les mains sur la tête. Allez !
Se rapproche encore.
– Elles ont l’air furieuses.
– Elles ont pas l’air. Elles le sont.
Elles font brutalement irruption dans notre cellule.
– Debout ! Et on se dépêche ! Dehors !
Elles nous gratifient, au passage, l’un et l’autre, d’une bonne cinglée sur les cuisses.
– Vous restez là. Vous bougez pas.
Près de la porte. Mains sur la tête. Comme les autres. Comme tous les autres.
On les entend s’activer à l’intérieur. Vider sans ménagement les placards. Renverser les lits.
– Mais qu’est-ce qu’elles cherchent ?
Alrich a un haussement d’épaules d’ignorance désabusée.

On nous rassemble au bout du couloir.
– Allez, en route !
– Mais elles nous emmènent où comme ça ?
Derrière, Gamelot veut faire de l’humour.
– Au réfectoire, sûrement. Deux heures du matin. Il commence à faire faim.
Ce qui lui vaut aussitôt une dizaine de cinglées particulièrement appuyées.
– On la ferme.
L’escalier B. La cour. Elles nous y font mettre en rangs. Toujours les mains sur la tête.
– Et on ne bouge pas.
Elles ne nous quittent pas des yeux.
Yrvert me pousse légèrement du coude.
– Il y en a deux qui se sont fait la malle. C’est pour ça, tout ce cirque.
– Qui ?
– On sait pas.
Je fais, à mon tour, discrètement passer l’info à Alrich.

Elles nous laissent longtemps dans cette position. Une heure. Deux. Peut-être trois. Je ne sais pas. Je ne sais plus. J’ai totalement perdu la notion du temps. Il nous est formellement interdit de bouger. Le moindre mouvement se paie cash. Tous mes membres se sont, les uns après les autres, engourdis. La nuit de juin est inhabituellement froide. Je grelotte. On grelotte
Il finit par apparaître des lumières sur la droite. Un groupe. Des Cythriennes. De grosses huiles. Des projecteurs s’allument, nous aveuglent. Elles nous passent lentement en revue, nous tiennent longuement sous leurs regards. Et puis une voix forte s’élève, celle d’une cythrienne vêtue d’une longue tunique rouge.
– Il y a des complicités parmi vous. Nous le savons.
Elle marque un long temps d’arrêt.
– J’attends que les coupables se dénoncent.
Un autre.
– Vous avez trente secondes.
Personne ne pipe mot.
– Très bien. Vous l’aurez voulu.
Et elles s’éclipsent.

Les gardiennes nous ramènent dans nos cellules.
– Ce champ de bataille !
On remet nos matelas en place.
– Quant au reste, on verra demain.
On a à peine le temps de se glisser entre les draps qu’elles surgissent à nouveau, qu’elles nous les arrachent, que les fouets s’abattent.
– Vous rangez tout ça. Vous dormirez après.

Dans le car qui nous emmène au stade tout le monde est plus ou moins amorphe.
– Deux heures de sommeil ! Et encore ! Ah, ça va être beau à l’entraînement !
Elles passent et repassent dans le couloir central pour nous empêcher de nous endormir.
Là-bas, on est accueillis par des huées.
– Qu’est-ce qui leur prend ?
– À tous les coups, c’est à cause des deux évadés de cette nuit.
– Dont on sait d’ailleurs toujours pas qui c’est.
– Des types d’un autre groupe, sûrement. On est tellement nombreux à l’amillon trois.
Plus on approche et plus les cris se font hargneux, les vociférations agressives.
– On n’y est pour rien, nous, s’il y en a qui se sont barrés.
– Va leur expliquer…

Je saute et resaute. Dans un semi-brouillard. Pour des résultats pitoyables.
– Mais qu’est-ce t’as, aujourd’hui ?
J’essaie d’expliquer. La nuit sans sommeil. La longue immobilité tétanisante dans le froid.
Elle hausse furieusement les épaules.
– Prétextes ! Dégage, tiens, tu m’agaces…
Je prends, tête basse, la direction des douches. Aussi discrètement que possible.
Une femme au sourire carnassier m’aborde devant la porte.
– Tu me reconnais pas ?
– Si !
C’est celle qui, le jour de la générale, avait espéré pouvoir me fouetter.
– Mais tu ne t’es pas montré très coopératif.
Je bafouille lamentablement quelque chose à propos d’entraînement, de résultats, des jeux pancythriens qui approchent.
Elle hausse les épaules.
– Oh, mais tu vas avoir droit à une petite séance de rattrapage. Viens !
À l’entrée, les gardiennes nous arrêtent.
– On ne passe pas.
Elle leur brandit sous le nez une carte barrée de jaune et de vert.
Elles s’écartent aussitôt.
– Excusez-nous ! Allez-y !

On est seuls.
– Tu t’es mis Vassilène à dos.
– Moi ?
– Toi, oui ! Parce que voilà une dirigeante – et une des plus haut placées – qui a la bonté de jeter son dévolu sur toi. Qui, en attendant de pouvoir te prendre à son service, t’offre généreusement des cours de cythrien. Et toi, en guise de remerciement, tu trouves rien de mieux à faire que de te laisser embrigader par Korka.
– Mais non, mais…
– C’est pas vrai, peut-être ?
– On m’a pas demandé mon avis. On m’a emmené. J’ai obéi. Le moyen de faire autrement ?
– Oui, ben ça, tu tâcheras d’en trouver un, de moyen. Et vite. Parce que, sinon, tu risques d’aller au-devant de très très gros ennuis.
J’essaie de discuter. Elle me fait sèchement taire.
– En attendant, on va t’offrir un petit acompte.
Elle extirpe un martinet de sa tunique.
– Tu vas danser, mon garçon ! Et tâche de faire ça bien. Vassilène te regarde.
Je danse. Longtemps. Et de plus en plus haut.

mercredi 13 juin 2018

Prisonnier des Cythriennes (8)


Du plus loin qu’elles m’aperçoivent, Varine et Marla se précipitent à ma rencontre.
– Ah, te v’là ! On commençait à se dire que tu viendrais pas.
Les gardiennes font claquer leurs fouets.
– Oh, on se calme, sinon…
Nous repoussent, à petits coups de lanière sur les mollets, jusqu’à l’entrée de la salle de classe.
Les yeux de Marla plongent dans les miens.
– Comment on y a pensé à toi ! Si tu savais…
Glissent le long de mon torse, descendent.
Varine confirme.
– C’est tout le temps qu’on parle de toi. Sans arrêt. Dès qu’on peut.
Leurs regards vont et viennent sur moi. Partout. S’accrochent ici. S’attardent là. Me dévorent à qui mieux mieux.
Je me repais d’elles, moi aussi, tout mon saoul. De la brune. De la blonde. Ouvertement. Avec délectation.
Marla soupire.
– C’est de la torture ! Parce qu’attends, ça fait des mois et des mois qu’on n’a pas vu un mec. Même de loin. C’est tout juste si on se rappelle comment c’est fait. Et, d’un seul coup, on nous en balance un dans les pattes, comme ça, avec interdiction d’y toucher.
Varine la reprend.
– Ça, on n’en sait rien du tout si on a le droit ou pas.
– Ce qu’est encore pire.
Je pense à Jartège. Je pense à Guizwa. À ce qu’on attend de moi là-bas.
– Il y a des cas où c’est autorisé les assujettis entre eux. Où c’est même carrément organisé. De façon tout-à-fait légale.
Oui, elles savent. Elles ont entendu des tas de trucs là-dessus. Vrais ou faux d’ailleurs. Mais ce qui se passe ailleurs, c’est pas ça, la question. L’important, c’est ici. Maintenant. Elles. Nous.
– Il y a des filles qui disent qu’on nous tend un piège. Qu’ils sont sûrs, en haut lieu, qu’on résistera pas. Qu’on va craquer. Et que ce sera le prétexte pour nous virer aussi sec des SIB. Mais il y en a d’autres, par contre qui pensent que c’est tout le contraire, qu’il y a, quelque part, une dirigeante, une grosse huile, qu’a envie de se rincer l’œil. Et qui doit vraiment pas apprécier qu’on fasse traîner les choses en longueur.
– À moins encore que son plaisir, ce soit de nous regarder nous tourner autour sans savoir sur quel pied danser. De jouir de notre frustration.
Elles n’avaient pas envisagé les choses sous cet angle-là.
– Ça se tient. Mais on n’est pas plus avancées pour autant. Au contraire. Ça complique un peu plus.
– En tout cas, il y a forcément anguille sous roche. On nous laisse du temps ensemble. Elle mettrait pas systématiquement dix plombes pour arriver, sinon, la prof de cythrien.
Oui, ben justement, ce qu’elle voudrait bien savoir, elle, Marla, c’est laquelle c’est d’anguille.
– Parce que si j’étais sûre que ce soit la bonne, comment je te sauterais dessus. Et ton machin, là, qu’arrête pas de pointer, de façon éhontée, vers là où il a envie de rentrer, il aurait intérêt à se montrer opérationnel. Parce que sinon…
– Sinon, quoi ?
Du bruit dans le couloir. Je me retourne. M’avance un peu, dos à elles.
– Wouah ! Mais qu’est-ce qui t’est arrivé ?
– Devinez !
– Comment elles t’ont arrangé ! Qu’est-ce t’avais fait ?
– Des fois, ça tombe sans la moindre raison.
– Oui, ça, on sait. On connaît.
Un doigt m’effleure le dos, s’enhardit, épouse au plus près le contour des boursouflures. Un autre le rejoint. Me parcourt.
– Oh là là, mon pauvre ! Comment tu dois avoir mal !
Elles descendent. Les reins. Le bas du dos.
Les gardiennes s’approchent. S’esclaffent. Commentent bruyamment. Avec des mots que l’on ne comprend pas.
Le haut de la fesse. Plus bas. Encore plus bas. La pression se fait plus forte. Plus insistante.
Les rires des gardiennes aussi.
On s’enhardit. On s’insinue dans la rainure entre les fesses. On la dégringole. On s’aventure de l’autre côté. On me frôle les boules. On s’en éloigne. On y revient résolument. On s’en empare. Une main se referme sur elles.
Et puis, soudain, la voix de Varine.
– Arrête, Marla, arrête ! On sait pas. C’est trop dangereux. T’imagines les conséquences ?
Marla bat en retraite en maugréant.

La prof sourit. Elle ne cesse pas de sourire. Et d’écrire au tableau.
Ses fesses sont amples. Charnues. D’un blanc insolent. Je me laisse rêver dessus.
– Vous avez compris ?
– Hein ? Quoi ? Non. Rien du tout.
Les deux filles non plus.
Elle soupire.
– Vous n’êtes pas attentifs.
– Ah, si, si ! Très.
Elle hausse les épaules. Recommence.

Surgit la femme en gris de la semaine précédente.
– Alors comment ça se passe ici ? Bien ?
La prof arbore une mine ravie.
– Oh, oui ! Ils sont très appliqués.
– Eh bien, on va voir.
Elle efface les signes qui sont au tableau, les remplace par d’autres.
– C’est quoi, ça ?
On n’en sait rien du tout.
– Et ça ?
Non plus.
– Vous filez un mauvais coton. Un très mauvais coton.
Elle nous fait agenouiller au pied du tableau.
– Toi aussi, Galberte. Tu es aussi coupable qu’eux.
La prof ne proteste pas. Elle vient nous rejoindre sans un mot.
Un ordre claque sèchement. En cythrien.
Les gardiennes sont aussitôt derrière nous. Les fouets s’abattent. Nos gémissements s’entremêlent. Nos plaintes se conjuguent. Marla me prend la main. La serre de toutes ses forces. Varine aussi, de l’autre côté.
Ça s’arrête enfin.
– Là ! Et maintenant vous vous remettez au travail. Sérieusement, cette fois. Sinon…
On regagne nos places en toute hâte.

– Mouais !
Alrich me considère d’un air perplexe.
– Je le sens pas ton truc, mais alors là, pas du tout.
– Comment ça ?
– Tu les connais pas, ces filles. Tu sais pas ce qu’il y a derrière tout ça. Peut-être qu’on leur a confié pour mission de te mettre en confiance.
– Mais dans quel but ?
– Ben, justement, toute la question est là.

mercredi 6 juin 2018

Prisonnier des Cythriennes (7)


Deux gardiennes inconnues m’extirpent de ma cellule, m’entraînent dans la cour, m’enfournent sans ménagement dans une voiture dont elles viennent occuper la banquette arrière avec moi. Une de chaque côté.
On s’engage dans la direction opposée à celle qui mène au stade. Les maisons y sont beaucoup plus cossues que de l’autre côté, nichées au cœur de jardins somptueux. C’est dans l’allée d’un véritable petit château qu’on finit par s’engager. Jusqu’au pied d’un perron monumental en haut duquel mes gardiennes me remettent entre les mains d’une assujettie, nue elle aussi, qui m’accompagne à l’intérieur, me fait entrer dans une salle immense dont les grandes baies vitrées donnent sur un parc orné de massifs soigneusement taillés, d’arbres majestueux, de bassins dont les jets d’eau s’élèvent très haut dans les airs.
Assise derrière un bureau, tout de blanc vêtue, une femme écrit. Elle ne lève pas la tête, continue imperturbablement à écrire. On attend. Un quart d’heure. Une demi-heure. Une heure. Je toussote. Je me dandine d’un pied sur l’autre. Elle m’ignore superbement. Elle nous ignore superbement.
Et puis, d’un coup.
– Qu’est-ce que tu veux ?
L’assujettie me pousse du coude.
– C’est à toi qu’elle parle. Réponds !
– Mais rien. Je sais pas. On m’a amené là. On m’a rien dit.
Elle hausse furieusement les épaules.
– Emmène ce crétin, Guizwa. Occupe-toi de lui.
Guizwa me fait signe de la suivre.
– Viens ! Par ici ! Viens !
Une minuscule petite pièce au fin fond d’un couloir.
– On sera tranquilles là. Il vient jamais personne. Mais assieds-toi ! Reste pas planté comme ça. Bon, ben voilà ! Tu viens de faire la connaissance de Jartège. Ça surprend, hein ?
– Oui et non. Je m’attends toujours un peu à tout, moi, ici.
– C’est un air qu’elle se donne comme ça. Pour impressionner. Prendre le dessus. Surtout que c’était la première fois qu’elle te voyait. Mais c’est quelqu’un de très humain en réalité. Ce que t’auras l’occasion de constater par toi-même. Si on te garde, évidemment… Si tu fais l’affaire…
– Je comprends pas grand-chose. On me veut quoi au juste ?
– Bon… Alors que je t’explique ! Ici, c’est chez Korka, l’une des dirigeantes les plus haut placées de l’amillon trois. Jartège, c’est quelque chose comme son intendante. À elle de gérer pour que tout se passe au mieux. Sur tous les plans. Quant à moi, je suis, pour ainsi dire, la chef des assujettis. Quatorze en tout. Que des femmes. Pour le moment. Mon rôle consiste essentiellement à répartir les tâches entre elles. Ménage. Cuisine. Service à table. Entretien des extérieurs. Etc. Il y a beaucoup à faire. Je dois veiller à ce que le travail soit correctement effectué, dans les délais, et à apaiser les tensions qui ne manquent pas de surgir, pour un oui ou un non, entre les unes et les autres. Il ne peut pas être autrement : des femmes confinées entre elles, à longueur de temps, sans jamais l’ombre d’un homme à l’horizon, comment tu veux qu’elles soient pas à cran ? Qu’elles ne deviennent pas querelleuses et aigries ? Pour Jartège, il y a pas trente-six mille solutions : il faut qu’elles aillent de temps à autre au mâle. Mais pas dans n’importe quelles conditions. Ce doit être perçu comme une récompense. À laquelle elles vont aspirer de tout leur être. Qui va créer entre elles une saine émulation dont leur travail ne manquera pas de se ressentir. Korka, après s’être longtemps fait tirer l’oreille, a fini par donner son accord pour qu’on fasse venir un assujetti mâle. Un seul, pour commencer. Si l’expérience s’avère concluante, il sera toujours temps de s’en procurer d’autres. Le choix, pour toutes sortes de raisons, s’est porté sur toi. Il ne te reste plus qu’à te montrer à la hauteur. À faire tout ton possible pour qu’on te garde. Dans ton intérêt. Parce qu’être SIB, ça n’a qu’un temps. Il y a un après. Et l’après, à toi de voir : ou passer tes journées sur les chantiers à manier la pelle et la pioche ou les passer à tirer allègrement ton coup.
– C’est tout vu. Mais alors faut que je fasse quoi au juste ?
– Je viens de te le dire. S’agira pour toi de tirer ton coup. Avec celle que je te désignerai. C’est quand même pas trop compliqué, si ?
– Ça va. Normalement, je devrais savoir faire.
– Il vaut mieux. Et, dans ton intérêt, tâche d’éviter les pannes. On aurait tôt fait de te remplacer. Bon, mais allez, viens ! Il est temps que tu fasses connaissance avec tes camarades de jeu.

Des couloirs. Des escaliers. Encore des couloirs. La porte de ce qui semble être une grande cuisine. Une jeune assujettie, penchée, nue, au-dessus d’un immense chaudron, lève la tête, écarquille les yeux.
– Oh, un couillu ! C’est pas vrai ! Un couillu…
Aussitôt, de partout et de nulle part, surgissent une foule d’assujetties qui nous entourent en piaillant à qui mieux mieux.
Guizwa les maintient à distance.
– On regarde, mais on touche pas.
– C’est lui ? C’est celui que vous avez dit qui va nous… C’est lui ?
Elle fait signe que oui. De la tête. Oui.
– Il est pas mal, n’empêche !
– Plus que pas mal, moi, j’trouve !
– Carrément canon, oui !
– De toute façon, moi, ça fait deux ans que j’ai pas vu le loup. Alors même que ce serait Quasimodo, je prendrais. Je prends tout.
– C’est quand qu’on commence ? Maintenant ? Tout de suite ?
– Sûrement pas, non.
– Oh, allez, Guizwa, va ! Regarde ! Il bande. On peut quand même pas le laisser comme ça… Ce serait trop cruel.
– J’ai dit non.
– Ce sera quand alors ?
– Samedi. Et il sera pour celle qui l’aura mérité.
– Moi, alors !
– T’as qu’à y croire. Non, moi !
– Je verrai. Retournez travailler.
– On peut pas toucher un peu avant ? Juste un peu.
– Oui. Ça nous motiverait comme ça pour bosser.
– Filez, j’ai dit !
Et elle se dirige résolument vers la porte. Je lui emboîte le pas. Derrière son dos, quatre ou cinq mains m’effleurent les fesses, me les caressent discrètement.

– Voilà ! Tu sais à quoi t’attendre.
– Il y a pire.
– Ça, c’est sûr.
Quelque chose sonne sur son bureau. Elle se penche, lit, fronce les sourcils.
– Elles t’ont peloté les fesses quand on est sorties ?
– Un peu, oui. Certaines.
– Et t’as rien dit ?
– J’ai pas eu le temps. Ça a été tellement vite.
– Oui, ben, avec les caméras, Jartège, elle, elle a vu. Et on va y attraper. Tous les deux. Toi, pour t’être laissé faire et moi, pour m’être rendu compte de rien.
– Y attraper ?
– Une bonne cinglée. Faut pas que je te fasse un dessin ? Ben oui ! Fais pas cette tête-là ! J’ai beau être la chef là-dedans, je suis quand même une assujettie. Tout comme toi. Et Jartège ne manque pas une occasion de me le rappeler. Elle la rate d’autant moins qu’elle adore ça me voir fouetter. Bon, mais allez, on y va ! Plus vite ce sera fini…