mercredi 26 décembre 2018

Julie, artiste peintre fesseuse (20)


Ça avait pris des teintes très sombres. Qui s’étaient rejointes. Enchevêtrées et superposées les unes aux autres.
Elle a étudié tout ça de près. De très très près.
– J’ai bien fait de pas te ménager, toi ! Ça s’est profondément incrusté. Ça dure du coup. Et c’est pas déplaisant du tout à regarder.
Elle a fait les traditionnelles photos. En plus grand nombre encore que d’habitude.
– T’es toujours décidé à te peindre ?
Il a fait signe que oui. De la tête. Oui.
– Eh bien installe-toi alors !
Elle lui avait préparé un chevalet. Qu’elle avait placé très en hauteur, un peu en avant du sien.
Il a semblé chercher quelque chose, du regard, autour de lui. Une chaise.
– Non, non. Debout, tu vas peindre. T’es jeune, tu peux. Et à poil. Comme ça, moi, pendant ce temps-là, je pourrai contempler mon œuvre tout à loisir. Sur le vif. Ça m’inspirera.
Il s’est emparé d’un pinceau. A mélangé des couleurs. Jeté un coup d’œil sur sa toile à elle. Poussé un profond soupir.
– Jamais j’y arriverai.
– À quoi ?
– À faire aussi bien que vous.
– Personne te le demande.
– Mais quand même ! Comment j’aimerais ça…
Ils ont travaillé quelques instants en silence.
– Bon, ben je t’écoute…
– Vous m’écoutez ?
– Tu devais nous dire… Toutes ces vilaines choses, là, que t’as à te reprocher.
– Ah, oui ! Oh, il y en a pas tant que ça, finalement !
– Ben, voyons !
– Si, c’est vrai, hein !
– T’as une copine ?
– Oui. Non. Enfin, si ! Ça dépend.
– De quoi ?
– De ce qu’on entend par là.
– Ce qui veut dire, en fait, que tu tiens pas vraiment à elle.
– Pas trop, non.
– Qu’elle te sert juste à te vider les couilles.
– Pas seulement. On fait des trucs ensemble. Des kebabs. Des cinés.
– Le minimum syndical, quoi ! Histoire de l’entretenir dans l’illusion qu’elle compte un peu pour toi. Et elle ? Tu comptes pour elle ?
– Je crois. Je sais pas.
– Et tu cherches pas à savoir. C’est le cadet de tes soucis. Ce qu’elle pense, ce qu’elle ressent, ce qu’elle espère, t’en as strictement rien à battre. La seule chose qui compte à tes yeux, c’est ton intérêt à toi, ta petite satisfaction égoïste. Le reste… Et quand t’en auras soupé d’elle ou que tu lui auras trouvé une remplaçante, tu t’en débarrasseras. Sans autre forme de procès. C’est pas vrai ce que je dis là peut-être ? Hein ? C’est pas vrai ? Bien sûr que si ! Tu la jetteras comme t’as jeté toutes les autres avant elle. Sans le moindre état d’âme. Il y en a eu combien ? On peut savoir ? Eh bien ?
– Six ou sept. Peut-être huit. Quelque chose comme ça.
– Et t’es fier de toi ?
Il a baissé la tête. Il n’a pas répondu.
– Comme quoi la correction que je t’ai flanquée était amplement méritée, avoue ! Non ?
– Si !
– Oh, mais fais-moi confiance ! On va pas s’en tenir là…

mercredi 19 décembre 2018

Julie, artiste peintre fesseuse (19)


– Tu crois que c’est la peine ?
– De quoi donc ?
– Que je revienne ce soir.
Un éclair de déception est passé dans ses yeux. Qui a très vite disparu.
– Comme tu veux. C’est toi qui vois.
– Je crois franchement pas que tu aies grand-chose à craindre d’un type comme lui.
– On sait jamais. On peut pas savoir. Surtout si je le pousse dans ses derniers retranchements.
– C’est ton intention ?
– Peut-être. Ça va dépendre. De tout un tas de choses. Je verrai. J’improviserai. Au coup pour coup. Mais faut pas te croire obligé de venir non plus, hein ! Je veux pas te faire perdre ton temps.
– Je le perds pas.
– Un peu quand même, si ! Parce que tu me rends service. Ce dont je te remercie. Mais à toi, ça n’apporte pas grand-chose. Pour pas dire rien du tout.
– Qui sait ?
Elle m’a coulé un bref regard en coin.
– Ah, oui ?
– Le plaisir manifeste que tu prends à tout ça a quelque chose de très communicatif et, disons-le, de très jubilatoire.
Elle m’a gratifié d’un éclatant sourire.
– Eh ben alors ! Il est où est le problème ? Si c’est le trajet…
– C’est vrai que ça fait quand même au bout.
– Il y a une chambre d’amis. Où t’as déjà passé la nuit. Tu peux t’y installer si tu veux. Ça t’évitera toutes ces allées et venues, deux fois par jour. Tu bosses chez toi en plus. Sur ordi. C’est quelque chose que tu peux très bien faire ici. Non ?
Si. Bien sûr que je pouvais. Si.
– Je reviens.
Et je suis allé chercher quelques affaires.

Elle a passé la tête.
– Ça va ? T’es bien installé ?
– C’est parfait.
– Si t’as besoin de quoi que ce soit, surtout t’hésites pas, hein !
– Promis. Merci.
J’ai pris mes marques. Rempli de mes sous-vêtement et de mes tee-shirts le tiroir d’une commode, suspendu mes pantalons dans la penderie, branché mon imprimante, jeté un coup d’œil, par la fenêtre, sur la cascade grise des toits rendus luisants par la pluie.
Et je me suis mis au travail.
Pas bien longtemps. Elle a frappé, entrouvert la porte.
– Je te dérange pas ?
– Bien sûr que non.
– J’en ai pas pour longtemps. C’est juste que je voulais te dire : je suis vraiment très contente que tu restes. Très. Parce que, maintenant que je me suis habituée à ta présence, j’aurais vraiment beaucoup de mal à envisager tous ces trucs-là sans toi. Je sais pas trop comment expliquer en fait. C’est pas seulement que ça me rassure, c’est pas seulement que c’est dissuasif, c’est que ça prend une autre dimension. De l’ampleur. Tu comprends ?
Elle ne m’a pas laissé le temps de répondre. Elle a refermé la porte. Qu’elle a presque aussitôt rouverte.
– Et puis aussi… Tu sais ce que je me disais ? C’est que ce serait encore mieux si tu pouvais participer. D’une façon ou d’une autre.
Et elle est repartie. Pour de bon, cette fois.

mercredi 12 décembre 2018

Julie, artiste peintre fesseuse (18)


Comment il avait marqué ! Ça s’était incrusté en longues stries violacées, boursouflées, qui s’étalaient au large sur toute la surface.
Elle a pris photo sur photo. Pas loin d’une centaine.
– Là ! Bon, ben tu peux y aller, toi, maintenant ! Rendez-vous dans douze heures. Et tâche d’être ponctuel…
Il s’est lentement dirigé, comme à regret, vers ses vêtements. S’est retourné.
– Je pourrais pas ?
– Quoi donc ?
– Les voir ?
– Oh, si tu veux !
Il a lâché le boxer qu’il s’apprêtait à enfiler. Est revenu sur ses pas. Le temps de glisser la carte dans l’ordinateur et elle a fait défiler. Lentement. Il n’a pas quitté l’écran un seul instant des yeux. Jusqu’à la fin.
– Laquelle vous allez peindre ?
– Je sais pas encore. Je verrai.
– Et sur celles d’hier soir, de juste après, vous n’avez pas décidé non plus ?
– T’es bien curieux.
– Oh, vous pouvez bien. Je suis le premier concerné après tout.
Elle l’a affichée.
– C’est celle-là !
Il l’a longuement contemplée.
– Ça me fait tout drôle de me dire que je vais être en tableau. Surtout comme ça ! Vous allez le commencer bientôt ?
Elle a découvert la toile posée sur le chevalet.
– C’est déjà commencé.
– Ah, oui ! Et drôlement avancé en plus. Vous allez le continuer quand ?
– Dès que tu seras parti.
Il s’est rembruni.
– Quoi ? Qu’est-ce qu’il y a ? Tu veux me voir peindre, c’est ça ? Bon, mais une demi-heure. Pas plus. Attrape une chaise et assieds-toi là, près de moi.
Il ne se l’est pas répéter deux fois. Il s’est installé. Sans même prendre le temps d’aller se rhabiller.
Et il l’a regardée faire, fasciné.
– Vous travaillez à une allure…
– Question d’habitude.
Il s’est absorbé dans sa contemplation.
– Vous allez en faire quoi après ?
– Qu’est-ce tu veux que j’en fasse de spécial ? Tu seras suspendu au mur. Comme les autres.
– Je pourrai pas l’avoir ?
– Certainement pas, non.
– À moins que… Vous pourriez peut-être m’en faire un deuxième.
– Non, mais écoutez-le, celui-là ! Exigeant en plus !
– Oh, vous auriez vite fait.
Sur la toile, elle lui a fignolé une fesse.
– Tu y tiens vraiment ?
Son visage s’est illuminé.
– Oh, oui ! Oui !
– Alors tu as une solution toute trouvée. Tu m’as dit que tu peignais, toi aussi, non ?
– Ben oui, mais…
– Mais quoi ? On n’est jamais mieux servi que par soi-même. On t’a pas appris ça à l’école ? Alors ce soir, après la séance photo, au boulot…

mercredi 5 décembre 2018

Julie, artiste peintre fesseuse (17)


– Cette raclée qu’il s’est ramassée !
– Oui, hein ! Je suis pas mécontente de moi.
– Et quel pied t’as pris à la lui flanquer !
– Ça s’est vu tant que ça ?
– Comme le nez au milieu de la figure.
– C’est sa faute aussi ! On n’a pas idée de ressembler, comme deux gouttes d’eau, à cette espèce d’enflure de Christopher.
– C’était qui ce Christopher ?
– Une belle petite saloperie. Et il était pas le seul. Il y en avait d’autres.
– Tu m’avais dit que tu me raconterais.
– On ira manger quelque part ensemble à midi,si tu veux. On aura tout notre temps.

– Je t’écoute…
Elle a repoussé son assiette sur le côté, croisé les bras sur la table.
– C’était le nec plus ultra de l’enseignement de la peinture, Weber, à l’époque. LE professeur. Avec un grand P. Celui aux cours duquel tout le monde rêvait d’assister. J’avais postulé. Sans grande conviction. Il y avait beaucoup d’appelés et peu d’élus. Alors je te dis pas mon ravissement quand j’ai reçu sa réponse. Positive ! Je sautais partout. J’embrassais tout le monde. Avec Weber, j’allais devenir une grande artiste. Un peintre de renom. Je serais exposée partout dans le monde. J’étais sur mon petit nuage. Je me suis précipitée à Vienne, toutes affaires cessantes. Weber était très sélectif. On était cinq. Que cinq. Et j’étais la seule fille. Une fille dont le maître ne cessait pas de vanter les mérites. Dont il plaçait les qualités très au-dessus de celles de ses petits camarades. Il le disait. Il le répétait. Dix fois par jour. Ça me flattait. Et eux, évidemment, ils ne le manifestaient pas ouvertement, mais ça les rendait jaloux. Profondément jaloux. Je ne m’en rendais absolument pas compte. J’étais dans ma bulle. La goutte d’eau qui a fait déborder le vase, pour eux, c’est quand il m’a demandé de poser. Poser pour Weber ? Être peinte par Weber ? Même dans mes rêves les plus fous… Alors c’était oui, bien sûr que c’était oui ! Oui. Et encore oui. Sauf que poser pour Weber, dans le cadre de ses cours, c’était, en même temps, poser pour eux. Ce dont je me fichais éperdument. Je n’ai jamais été spécialement pudique. Et puis, de toute façon, ils ne comptaient pas. Weber allait me peindre, moi ! Je ne voyais que ça. Le reste n’avait pas la moindre importance. Ils ont été absolument odieux. Oh, pas en sa présence, bien sûr ! Non. En sa présence, ils étaient sagement installés devant leurs toiles. Ils me peignaient sans broncher. Ils écoutaient ses conseils. On leur aurait donné le bon Dieu sans confession, mais je peux te dire que, dès qu’il avait le dos tourné, j’en prenais plein la tête. Dans le registre « T’adores ça te foutre à poil, hein ? Mais si ! Mais si ! Tu crois que ça se voit pas ? Tu mouilles comme une petite folle, j’parie ! Non ? Tu mouilles pas peut-être ? » Ou bien alors… « Tu peux pas savoir comment j’ai hâte d’y avoir mis la dernière main, moi, à ce tableau ! Je l’installerai dans ma chambre, juste en face de mon lit, et je me branlerai devant ta chatte et tes nénés de petite cochonne. Parce qu’une fille comme toi, à part pour le cul, elle ne présente pas le moindre intérêt. » Je t’en passe… Et des meilleures.
– Et c’était tous ? Tous les quatre ?
– À des degrés divers. Mais le plus acharné de tous – et de loin – c’était Christopher.
– Je comprends mieux.
– Ils m’ont pourri toutes les séances. Je savais ce qu’ils avaient dans la tête. Alors leurs regards sur moi, c’était, à proprement parler, insupportable.
– T’en as pas parlé à Weber ?
– Si ! Bien sûr que si !
– Et ?
– Et c’était un artiste, Weber. Ça lui passait à cent mille lieues au-dessus de la tête, tout ça. Il n’a pas compris. Ou n’a pas voulu comprendre. Et j’ai dû renoncer, la mort dans l’âme à mes études de peinture. Je n’avais pas d’autre solution. Je n’en pouvais plus.
– Et les tableaux ?
– Ils n’avaient été qu’ébauchés, les tableaux. Ils n’ont jamais été terminés . Ni le sien ni les leurs. Du moins je le suppose. Et je l’espère.