lundi 2 février 2015

Studieuses vacances: récit de Mademoiselle Lancel (1)



Ils étaient désolés de me tomber dessus comme ça… À l’improviste… Et sans même me connaître… Mais on leur avait parlé de moi… J’avais enseigné les Lettres, à ce qu’on leur avait dit… Et ils avaient un fils… Dont ils se demandaient ce qu’ils allaient bien pouvoir faire… Parce qu’il ne fichait rien, mais ce qui s’appelle rien… Alors si j’avais pu… Au moins lui sortir un peu la tête de l’eau… Ils me dédommageraient, bien entendu… Mon prix serait le leur… Oui… Oui… Mais est-ce que ce garçon était décidé à s’investir vraiment ? À passer la plus grande partie de ses vacances à travailler ? Parce que, dans le cas contraire, je n’avais pas du tout l’intention de perdre mon temps… Il travaillerait, oui… Ils en étaient convaincus… Parce qu’ils l’avaient menacé de la pension… Et c’était une perspective qui le terrorisait… De toute façon il serait prévenu… Si j’avais à me plaindre de lui… De son travail… De son assiduité… De son comportement… le couperet tomberait aussitôt… Il ferait la rentrée là-bas… Là-dessus ils se montreraient intransigeants… Dans ces conditions… Qu’il vienne… Le plus tôt possible… Qu’on batte le fer tant qu’il était chaud…

Il s’est présenté le lendemain… En début d’après-midi… Un grand garçon à l’allure lymphatique… À la démarche nonchalante… Au regard fuyant… Qui s’est assis sur sa chaise du bout des fesses… Avec lequel j’ai commencé par mettre les choses au point : on n’était pas là pour perdre notre temps… Ni l’un ni l’autre… Il s’agissait de tendre à l’efficacité et de le remettre à niveau le plus vite possible… J’allais m’y employer de mon mieux… Par contre, s’il s’avérait qu’on piétinait, qu’il ne faisait pas vraiment de progrès, on s’en tiendrait là… Je le renverrais chez lui… C’était clair ? Il a dégluti… Frotté nerveusement l’une contre l’autre les paumes de ses mains… Eh bien?C’était clair… Oui… Oui… D’une voix mal assurée… Ce qui l’était aussi, c’est que c’était une éventualité qui le paniquait… La fameuse pension ? Autre chose ?

Bon, mais on allait commencer par vérifier l’état de ses connaissances… Molière, il le situait à quelle époque ?
– 1700… Par là…
Ah, ben ça promettait… Bon… Qui avait écrit « La Chartreuse de Parme » ?
– Balzac… Ou peut-être bien Flaubert… Oui… Flaubert plutôt…
De mieux en mieux… Il était sûr qu’il avait déjà ouvert un livre au moins ? Non, parce que là… franchement… Même un très médiocre élève de troisième… Je me suis montrée sans pitié… Je ne lui ai fait grâce de rien… Auteurs… Oeuvres… Courants littéraires… Je lui ai plongé le nez dans son ignorance… Mortifié, il se taisait… Il baissait les yeux…
– Regarde-moi au moins quand je te parle…
Ce qu’il a fait… D’un petit air contrit…
J’étais en train de prendre l’ascendant sur lui… Et comme il faut… Ce qui n’était pas pour me déplaire… Ces petits mâles font généralement preuve de tant d’arrogance que, lorsqu’on a le loisir de les remettre en place, on aurait tort de s’en priver…
– Bon… Mais peut-être qu’en ce qui concerne la compréhension d’un texte… On va voir ça… Tiens, lis !
– « Comme Mademoiselle Lambercier avait pour nous l’affection d’une mère…
– Il y a un titre… Il y a pas un titre ?
– Si !
– Eh bien alors ?
Il s’est troublé… Dandiné sur sa chaise… Jeté à l’eau…
– « La fessée de Mademoiselle Lambercier »
– Eh bien voilà ! Continue !
D’une voix blanche… En écorchant trois mots sur quatre…
– Ça ne va pas… Pas du tout… Recommence ! Calmement… Posément… En faisant attention à ce que tu lis…
– « La fessée de Mademoiselle Lambercier »
Je ne l’ai pas écouté… Je l’ai imaginé… À la place du petit Jean-Jacques… Couché en travers de mes genoux… M’offrant ses fesses de grand garçon à corriger… À rougir… Et j’y allais de bon cœur… Ah, oui alors !
Il s’était tu… Il avait terminé sa lecture… Je me suis reprise… Oui… Et alors il pouvait en dire quoi de ce texte ? Il en avait retenu quoi ? À l’évidence pas grand chose… Pour ne pas dire rien… J’ai soupiré, excédée… J’ai levé les yeux au ciel…
– Tu ne connais strictement rien à la littérature… Tu ne lis pas… Tu ânnones… Et tu ne comprends strictement rien à ce que tu lis… Ben, ça promet… Je te conseille de t’y mettre, mon garçon, hein ! Je te conseille vraiment de t’y mettre… Parce que tu sais ce qu’on t’a dit… Si tu ne veux pas qu’on t’expédie en pension…

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