mercredi 4 mars 2020

Premières armes (12)


Elle a attaqué d’emblée.
‒ T’en as pensé quoi, toi, de la petite séance d’hier ?
‒ Ben
‒ Tu sais qu’on n’a pas perdu notre temps ? Ah, non alors ! Parce que je reviens de chez Anne. Et Thomas a finalement accepté qu’elle le punisse chaque fois qu’il l’aura mérité. C’était ça ou elle mettait un terme définitif à leur relation. Il a un peu hésité. Pour la forme. Pour jouer au mâle. Mais il a très vite rendu les armes. Des garçons comme vous, on a tôt fait de les amener là où on l’a décidé. Et je suis prête à parier qu’il ne saurait tarder à faire des progrès dans le domaine où cela importe au premier chef à Anne. Parce que pour nous, à notre âge, des petits jeunes, c’est bien beau, c’est même ce qu’il y a de mieux. Encore faut-il qu’ils soient en mesure de nous satisfaire. Et ça s’apprend, ça ! D’ailleurs, vu que, d’une façon générale, tu te débrouilles pas trop mal, même s’il y a encore beaucoup à faire, j’ai décidé de passer à la vitesse supérieure avec toi.
‒ La vitesse supérieure ? Comment ça ?
‒ Tu verras bien, mais, en gros, disons que j’ai décidé de faire profiter certaines de mes amies de tes compétences toutes neuves.
‒ Il y a déjà Aurélie.
‒ Et alors ? C’est pas une raison. Tu es vigoureux. Tu as de la ressource. Tu peux faire bien des heureuses. Et j’en connais un certain nombre qui n’attendent que ça. Qui piaffent d’impatience. Tu les verrais quand je leur parle de toi ! Je leur ai promis du coup. Tu ne voudrais tout de même pas me faire passer pour une menteuse ?
‒ Mais non, mais…
‒ Eh bien alors ! Et puis Aurélie, tu sais, si on la laisse faire, elle peut très vite devenir très envahissante. Si on l’écoutait, il finirait par ne plus y en avoir que pour elle. Je la connais depuis le temps. Et c’est quelqu’un qu’il faut rapidement canaliser. Parce que sinon…
Elle a jeté un coup d’œil à la pendule.
‒ Bon, mais faut que j’y aille ! J’ai un rendez-vous important. Faut vraiment que j’y aille.
Elle s’est tout de même arrêtée sur le pas de la porte.
‒ Ah oui, j’oubliais… Camille, la petite voisine, elle aussi je l’ai revue. Elle était chez Anne. Et elle a beaucoup apprécié la petite prestation que tu nous as offerte. Alors je lui ai proposé… Je lui ai proposé, vu qu’elle en crevait manifestement d’envie, d’opérer elle-même, la prochaine fois que tu te mettrais en situation d’en prendre une.
‒ D’opérer elle-même ?
‒ Ben oui ! Fais bien l’idiot ! C’est elle qui te la mettra la fessée, dès que l’occasion se présentera. Elle était absolument enchantée. Ça faisait plaisir à voir. Et je peux te dire qu’elle va attendre ça avec une impatience ! Bon, mais allez ! J’y vais. Passe une bonne journée !

Non, mais à quoi j’en étais réduit ! Qu’est-ce qu’elle avait fait de moi ? Qu’est-ce qu’elle était en train de faire de moi ? Un jouet. Un pantin. Dont elle tirait les ficelles à sa guise. Et moi, j’obéissais, gentil petit toutou. Je me laissais prêter à ses amies. Je la laissais donner le droit à la première fille de mon âge venue de me tambouriner le derrière comme elle l’entendrait. Et je ne disais rien. Et je me laissais passivement ballotter au gré de ses fantaisies. Non, mais cette fois ça suffisait. Ça suffisait vraiment. J’allais ruer dans les brancards. J’allais lui dire, une bonne fois pour toutes, ma façon de penser. Et je me suis mis à arpenter la pièce comme un furieux. J’ai fait une grosse colère contre elle. De toute façon, j’allais mettre un terme. C’était plus possible. L’image que tout cela me renvoyait de moi-même…
Je me suis brusquement immobilisé devant la porte-fenêtre. Tu y crois ? Tu y crois vraiment à ce que tu es en train de te raconter ? T’es déjà passé par là, rappelle-toi ! T’as voulu faire l’homme. T’as pris tes distances. Et, à l’arrivée, t’es venu ramper à quatre pattes devant elle pour qu’elle te pardonne. Pour qu’elle te reprenne. Te raconte pas d’histoires ! Te fais pas d’illusions ! Les mêmes causes vont produire les mêmes effets. Tu peux pas te passer d’elle. C’est au-dessus de tes forces. Autant en prendre ton parti, une bonne fois pour toutes.

Je me suis secoué. À quoi bon tourner indéfiniment en rond dans ma tête pour en arriver, au bout du compte, au même résultat ? Et j’ai éprouvé soudainement l’impérieux besoin de voir Julie. Qui a tout de suite décroché. Qui était manifestement ravie de m’entendre.
‒ Mais oui, on peut se voir, oui. Si vous voulez. Je suis en RTT.
‒ Même café que la dernière fois ?
‒ Même café.
‒ Dans une heure ?
‒ Un peu plus. Disons deux.
Ce qui signifiait qu’elle avait l’intention de prendre tout son temps pour se préparer. Qu’elle voulait se faire toute belle. Pour moi.

Je ne m’étais pas trompé. Elle était ravissante.
Et on a repris notre conversation là où l’avait laissée.

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