Au
petit matin, elle nous fait monter à l’arrière d’une
camionnette. Nous remet à chacun un sac de provisions.
– Bon
courage ! On compte sur vous, hein !
Elle
referme les portières, échange quelque mots avec la conductrice.
Dont nous n’avons pas vu le visage. Et en route !
Alrich
ne fait que répéter, sur tous les tons.
– Tu
te rends compte ? On se tire. J’y crois pas. Non, mais j’y
crois pas. On se tire.
On
s’arrête.
– Déjà !
Il y
a des voix. Plusieurs. Toutes féminines.
On
repart.
– Et
si tu me racontais ?
Je
lui raconte. Korka. Vassilène. La rivalité entre elles. Les menaces
sur mon intégrité physique. La drogue dans mon plateau-repas.
– Tu
l’as échappé belle.
– Et
toi ?
– Oh,
moi ! J’allais être viré des SIB. C’était couru. Et même
clairement annoncé. On allait m’envoyer je sais pas trop où.
Heureusement qu’il y a eu Germie pour me sortir de là.
– Comment
il a eu ce filon, lui ?
– Tu
penses bien que je lui ai posé la question. Il n’a rien voulu
dire. J’ai pas insisté.
On
s’arrête à nouveau. Une vieille femme à l’air revêche, nous
fait descendre. Au milieu des bois.
– Si
vous voulez prendre vos précautions, c’est le moment.
On
nous transfère dans une autre camionnette.
– Tu
vas faire quoi, toi, une fois rentré ?
Il
ne sait pas.
– Reprendre
ma vie d’avant, ça me tente pas vraiment. C’était trop galère.
Je vais essayer autre chose. Autrement. Ailleurs. Mais j’ai pas la
moindre idée de quoi.
– Il
va encore falloir se battre pour trouver à bouffer.
– Les
choses ont peut-être changé.
– Oui,
oh, alors ça !
On
se tait. Le roulis de la camionnette nous berce. Chacun s’absorbe
dans ses pensées. Et moi ? Je vais faire quoi, moi ? Je
n’en ai pas la moindre idée non plus. Je ne veux pas y penser. Je
verrai bien.
Encore
un arrêt. Et encore un changement de véhicule. La femme qui nous
prend cette fois en charge est plus loquace.
– On
approche. Il y a encore de la route à faire, mais on approche.
Elle
casse un bout de croûte avec nous.
– Il
y a pas de danger. Il passe jamais personne ici. De toute façon,
maintenant, vous êtes quasiment tirés d’affaire.
On a
dormi. Il a fait nuit. C’est à nouveau le matin.
– T’en
penses quoi, toi, de leur projet de révolution, là ?
Il
fait la moue.
– Je
suis sceptique. Très. Pour autant que j’aie pu en juger, les
dirigeantes en place tiennent solidement en mains les rênes du
pouvoir. Ça va pas être facile de les déloger. Pour ne pas dire
impossible.
– Si
ça peut les aider à supporter leur condition de croire qu’elles
vont pouvoir la changer… En tout cas, elles investissent beaucoup
sur nous, c’est le moins qu’on puisse dire.
– Elles
se rendent pas compte, mais on ne peut de toute façon pas leur être
d’un grand secours. Vu l’état de désorganisation qui règne
chez nous…
Elle
nous fait descendre.
– Vous
êtes arrivés. Bonne chance !
Et
elle repart sur les chapeaux de roues.
On
est arrivés, oui. Nous, on veut bien, mais on est arrivés où ?
Parce que là, on est carrément au milieu de nulle part.
– Ça
sent la mer.
– Oui.
Elle n’est pas loin.
La
Méditerranée, sûrement. Vu la chaleur qu’il fait. Et la
végétation.
On
marche au hasard. Sans rencontrer âme qui vive. De temps à autre on
longe un bâtiment en ruine.
– Et
ben dis donc, ça a pas l’air de s’être vraiment arrangé.
Une
maison. Qui a l’air de tenir à peu près debout. On frappe. On
appelle. Sans obtenir la moindre réponse.
La
porte n’en est pas fermée à clef. Les occupants l’ont
manifestement abandonnée depuis un certain temps déjà : la
poussière s’est accumulée sur le sol et sur les meubles. La
cuisine semble à peu près en état bien que les placards soient
vides de toute denrée alimentaire. Dans l’une des deux chambres,
il a manifestement abondamment plu. L’autre, par contre, est encore
équipée d’un lit dont matelas et sommier n’ont pas l’air trop
détériorés.
– On
s’installe là ?
– Faute
de mieux.
On
s’installe et on fait le point. La priorité des priorités, c’est
de trouver de quoi se nourrir. Ce qui implique de se mettre à la
recherche d’une ville, d’un village. Enfin bref, d’une
concentration humaine quelconque.
– Ce
qui va en outre nous permettre de nous faire une idée de la
situation.
Aussitôt
dit, aussitôt fait.
– De
quel côté on va ?
– Vers
la mer plutôt, non ? Ne serait-ce que pour attraper quelque
chose à manger.
– Tu
sais pêcher ?
– Je
me débrouille.
On
suit un chemin. Un autre. On se faufile sous des barbelés. Ça
descend. Ça descend toujours.
– On
approche.
Deux
femmes au bord de la route.
– On
pourrait peut-être leur demander.
Je
hurle.
– Attention !
Trop
tard. Leurs mains se lèvent simultanément dans notre direction,
pointent vers nous quelque chose de rouge et de sphérique. Comme la
première fois. Comme la fois où… Quelque chose qui nous force à
nous arrêter. Nos jambes ne nous obéissent plus. Nos bras ne nous
obéissent plus. Impossible de bouger la tête. Elles s’approchent.
Tout près. Piégés. Repris. Elles débouchent un flacon dont elles
nous font respirer le contenu. Tout chavire. On perd connaissance…
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire