mercredi 8 août 2018

Prisonnier des Cythriennes (16)


Au petit matin, elle nous fait monter à l’arrière d’une camionnette. Nous remet à chacun un sac de provisions.
– Bon courage ! On compte sur vous, hein !
Elle referme les portières, échange quelque mots avec la conductrice. Dont nous n’avons pas vu le visage. Et en route !
Alrich ne fait que répéter, sur tous les tons.
– Tu te rends compte ? On se tire. J’y crois pas. Non, mais j’y crois pas. On se tire.
On s’arrête.
– Déjà !
Il y a des voix. Plusieurs. Toutes féminines.
On repart.
– Et si tu me racontais ?
Je lui raconte. Korka. Vassilène. La rivalité entre elles. Les menaces sur mon intégrité physique. La drogue dans mon plateau-repas.
– Tu l’as échappé belle.
– Et toi ?
– Oh, moi ! J’allais être viré des SIB. C’était couru. Et même clairement annoncé. On allait m’envoyer je sais pas trop où. Heureusement qu’il y a eu Germie pour me sortir de là.
– Comment il a eu ce filon, lui ?
– Tu penses bien que je lui ai posé la question. Il n’a rien voulu dire. J’ai pas insisté.
On s’arrête à nouveau. Une vieille femme à l’air revêche, nous fait descendre. Au milieu des bois.
– Si vous voulez prendre vos précautions, c’est le moment.
On nous transfère dans une autre camionnette.
– Tu vas faire quoi, toi, une fois rentré ?
Il ne sait pas.
– Reprendre ma vie d’avant, ça me tente pas vraiment. C’était trop galère. Je vais essayer autre chose. Autrement. Ailleurs. Mais j’ai pas la moindre idée de quoi.
– Il va encore falloir se battre pour trouver à bouffer.
– Les choses ont peut-être changé.
– Oui, oh, alors ça !
On se tait. Le roulis de la camionnette nous berce. Chacun s’absorbe dans ses pensées. Et moi ? Je vais faire quoi, moi ? Je n’en ai pas la moindre idée non plus. Je ne veux pas y penser. Je verrai bien.

Encore un arrêt. Et encore un changement de véhicule. La femme qui nous prend cette fois en charge est plus loquace.
– On approche. Il y a encore de la route à faire, mais on approche.
Elle casse un bout de croûte avec nous.
– Il y a pas de danger. Il passe jamais personne ici. De toute façon, maintenant, vous êtes quasiment tirés d’affaire.

On a dormi. Il a fait nuit. C’est à nouveau le matin.
– T’en penses quoi, toi, de leur projet de révolution, là ?
Il fait la moue.
– Je suis sceptique. Très. Pour autant que j’aie pu en juger, les dirigeantes en place tiennent solidement en mains les rênes du pouvoir. Ça va pas être facile de les déloger. Pour ne pas dire impossible.
– Si ça peut les aider à supporter leur condition de croire qu’elles vont pouvoir la changer… En tout cas, elles investissent beaucoup sur nous, c’est le moins qu’on puisse dire.
– Elles se rendent pas compte, mais on ne peut de toute façon pas leur être d’un grand secours. Vu l’état de désorganisation qui règne chez nous…

Elle nous fait descendre.
– Vous êtes arrivés. Bonne chance !
Et elle repart sur les chapeaux de roues.
On est arrivés, oui. Nous, on veut bien, mais on est arrivés où ? Parce que là, on est carrément au milieu de nulle part.
– Ça sent la mer.
– Oui. Elle n’est pas loin.
La Méditerranée, sûrement. Vu la chaleur qu’il fait. Et la végétation.
On marche au hasard. Sans rencontrer âme qui vive. De temps à autre on longe un bâtiment en ruine.
– Et ben dis donc, ça a pas l’air de s’être vraiment arrangé.

Une maison. Qui a l’air de tenir à peu près debout. On frappe. On appelle. Sans obtenir la moindre réponse.
La porte n’en est pas fermée à clef. Les occupants l’ont manifestement abandonnée depuis un certain temps déjà : la poussière s’est accumulée sur le sol et sur les meubles. La cuisine semble à peu près en état bien que les placards soient vides de toute denrée alimentaire. Dans l’une des deux chambres, il a manifestement abondamment plu. L’autre, par contre, est encore équipée d’un lit dont matelas et sommier n’ont pas l’air trop détériorés.
– On s’installe là ?
– Faute de mieux.
On s’installe et on fait le point. La priorité des priorités, c’est de trouver de quoi se nourrir. Ce qui implique de se mettre à la recherche d’une ville, d’un village. Enfin bref, d’une concentration humaine quelconque.
– Ce qui va en outre nous permettre de nous faire une idée de la situation.
Aussitôt dit, aussitôt fait.
– De quel côté on va ?
– Vers la mer plutôt, non ? Ne serait-ce que pour attraper quelque chose à manger.
– Tu sais pêcher ?
– Je me débrouille.
On suit un chemin. Un autre. On se faufile sous des barbelés. Ça descend. Ça descend toujours.
– On approche.

Deux femmes au bord de la route.
– On pourrait peut-être leur demander.
Je hurle.
– Attention !
Trop tard. Leurs mains se lèvent simultanément dans notre direction, pointent vers nous quelque chose de rouge et de sphérique. Comme la première fois. Comme la fois où… Quelque chose qui nous force à nous arrêter. Nos jambes ne nous obéissent plus. Nos bras ne nous obéissent plus. Impossible de bouger la tête. Elles s’approchent. Tout près. Piégés. Repris. Elles débouchent un flacon dont elles nous font respirer le contenu. Tout chavire. On perd connaissance…

FIN

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