mercredi 4 juillet 2018

Prisonnier des Cythriennes (11)


Germie veut savoir.
– Tu sors d’où ?
– Je n’en ai pas la moindre idée.
– Tu te fiches de moi ? On t’emmène. Tout le monde se demande où t’es passé. On te ramène six heures après. Et toi tu me viens dire, la bouche en cœur, que tu sais pas où t’étais ? Prends-moi bien pour un imbécile !
Je n’ai pas le temps d’inventer une explication plausible. Qui ménage les susceptibilités. Qui ne porte pas les jalousies des uns et des autres à incandescence. Parce que deux autres gardiennes surgissent.
– Amène-toi ! Allez, grouille !

Ce n’est pas la route qui mène chez Korka. On se dirige plus au sud.
– Vous m’emmenez où ?
– Tu verras bien. Ferme-la !
C’est encore plus cossu que de l’autre côté. Une succession de gigantesques villas enchâssées dans des parcs immenses. On roule. Longtemps. Une grille. Qui s’ouvre devant nous. Les gardiennes m’abandonnent à l’entrée d’une allée.
– C’est là-bas. En face. Vas-y !
Une cythrienne me regarde approcher.
– Comme on se retrouve !
C’est la femme de la douche. Du fouet dans la douche.
– Tu te crois très fort, hein !
– Non, jevous jure. Seulement…
– Seulement une occasion de baiser, ça se laisse pas passer.
Je ne réponds pas. C’est pas la peine. De toute façon…
– Tâche de bien en profiter. Tant qu’il est encore temps.
Elle me saisit brusquement en bas. À pleines mains.
– Parce que, quand tu appartiendras définitivement à Vassilène, – et c’est à elle que tu finiras par appartenir, ça ne fait pas l’ombre d’un doute – elles vont sauter ces jolies petites prunes.
Elle éclate de rire.
– Ben, fais pas cette tête-là ! De toute façon, t’en auras plus besoin. Ici, on baise pas. C’est pas le genre de la maison. Et puis Vassilène veut la paix chez elle. La Sainte paix. Elle y tient absolument. Et le seul moyen de l’avoir, c’est d’obliger les assujettis mâles qu’elle recrute à laisser leurs couilles à l’entrée. Oh, mais ça se passera très bien, tu verras ! D’autant que c’est moi qui m’occuperai de ton cas. Et que j’adore ça faire sauter les bijoux de famille des petits récalcitrants dans ton genre. Ça les calme radicalement. De ton côté, t’y trouveras ton compte, tu verras. Si, si, je t’assure ! Tu te sentiras plus détendu. Plus serein. Apaisé. Heureux. D’ailleurs, tiens, viens ! Je vais te faire faire la connaissance de tes futurs petits camarades. Ils t’expliqueront tout ça beaucoup mieux que moi.

Elle m’installe sur un banc, sous une petite tonnelle.
– Attends là !
J’attends. Un oiseau s’épuise en trilles enchanteresses juste au-dessus de moi. Des senteurs de roses et de seringat se poursuivent et s’entrecroisent dans la douce brise de juin.
Des voix. Des rires. Ils sont quatre. Qui s’approchent. Qui me rejoignent.
Et c’est vrai. C’est vrai. Ils sont coupés. Tous les quatre.
– Salut ! Alors comme ça, c’est toi, le nouveau…
– J’espère bien que non.
Ils hochent la tête, haussent les épaules.
– Te fais pas trop d’illusions… Vassilène obtient toujours ce qu’elle veut.
J’essaie de me rassurer.
– Il y a Korka.
– Qui ne fait absolument pas le poids.
Ils coupent court.
– Tu verras bien n’importe comment…
Et suivent mon regard. Qui saute inlassablement de l’un à l’autre.
– Oui, hein, ça surprend quand on n’a pas l’habitude.
– Ça fait mal ?
– Pendant, non. Elle a le coup, Xarma. Et puis elle t’anesthésie. Mais après, si, un peu, le temps que ça cicatrise. Comme toutes les plaies en fait.
– Vous regrettez pas ?
Ils soupirent.
– Qu’est-ce que tu veux qu’on te dise ? Bien sûr que oui, dans un sens. Mais on nous a pas demandé notre avis. Alors…
– Oh, et puis en même temps, c’est pas si dramatique que ça finalement.
– Pas aussi dramatique que ce que t’imagines avant qu’on te l’ait fait en tout cas. Tu les as plus. Bon, ben voilà ! C’est comme ça. Et il y a pas de quoi en faire toute une histoire.
– Et l’avantage après, c’est que ça te tracasse plus. Parce que, quand tu les as, tu penses plus qu’à ça en fait. Sans arrêt. Ça te bouffe la vie.
Il y en a un– un petit brun tout en muscle – qui finit par protester.
– Ah, non, les gars, non ! Moi, je suis pas d’accord. Il y a des jours, j’en crève de plus les avoir. J’en crève vraiment.
Il soupire. Le silence s’installe. Il y a des appels au loin. Deux assujetties nues remontent l’allée.
– Et votre rôle à vous, ici, c’est quoi alors au juste ?
– Amuser la galerie.
Les autres confirment.
– C’est à peu près ça, oui. Quand Vassilène donne des réceptions, – en général, c’est le mardi soir –, on sert d’attractions. Ses invitées nous examinent sous toutes les coutures. Font toutes sortes de commentaires entre elles. Se moquent ouvertement de nous.
– Comment j’aimerais pas ça, moi !
– Nous non plus, j’te rassure ! D’autant qu’on est obligés de faire contre mauvaise fortune bon cœur. Parce que ça dure parfois des heures et que, si on manifeste le moindre signe d’agacement, on se prend aussitôt une bonne fouettée. Et elles le savent, ces garces. Alors il y en a qui font tout pour nous pousser à bout.
– Et le reste du temps ? Vous faites quoi ?
– Le reste du temps, on est avec les assujetties filles. On aide aux cuisines. Au ménage. Au service. À tout ce qu’il y a à faire en fait. On n’est ni plus ni moins qu’elles.
– Elles sont nombreuses ?
– Une vingtaine. Sympas, pour la plupart, tu verras. Même s’il y en a deux ou trois, dans le tas… Mais ça, ça peut pas être autrement.

– Alors, ça y est ? On a fait connaissance ?
Elle. Xarma. Qu’on a pas entendue arriver.
– Vous vous entendrez très bien tous les cinq, je suis sûre ! Non ?
Ils font signe que oui. Oh, oui.
– Et toi ? T’es pas de leur avis ?
– Si !
Du bout des lèvres. Qu’est-ce que je peux dire d’autre ?
– Ah, ben tu vois ! Tu commences enfin à faire des progrès.
Elle lève son fouet, me l’abat sur les fesses.
– Pour t’encourager à persister dans la bonne voie.
Et ça tombe. Ça tombe à toute volée.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire