Je m’effronde sur
mon lit.
Germie me jette un
regard effaré.
– Mais
qu’est-ce qui se passe ? Qu’est-ce que t’as ? T’es
complètement décomposé.
– Laisse-moi,
s’il te plaît ! Laisse-moi !
– Sûrement
pas, non !
Il
s’approche, s’assied à mes côtés, me pose une main sur le
ventre, me le caresse du bout du pouce.
– Vide ton
sac, va ! Ça te fera du bien.
Il descend plus bas.
– Non ?
Tu crois pas ?
Encore
plus bas. Il m’effleure la queue, s’en éloigne, y revient, me la
fait dresser. Je m’abandonne. Germie est orfèvre en la matière.
Il n’a pas son pareil pour donner du plaisir avec les doigts. Je
ferme les yeux. Il me fait surgir, s’allonge à mes côtés.
– Là !
Ça va mieux ? Eh bien, raconte maintenant !
Et
tout sort. D’un coup. En vrac. Vassilène. Guizwa. La fille qui
veut que je l’engrosse. Korka. Xarma. Les types sous la tonnelle
qui n’en sont plus. Tout.
– T’es
dans de sacrés beaux draps.
– Ça,
c’est le moins qu’on puisse dire.
– Faut
que tu gagnes du temps. Que tu restes SIB. Le plus longtemps
possible.
– C’est
bien mon intention. Et je fais ce qu’il faut pour. Seulement…
Il
se tourne vers moi.
– Faut
que je te dise un truc. Faut vraiment que je te dise un truc.
– Ben,
vas-y ! Je t’écoute.
– Le
grand jour approche. Dans un peu plus d’une semaine, c’est leurs
fameux jeux.
– Je
sais bien, oui.
– À
cette occasion, on aura droit à des plateaux-repas personnalisés.
Le menu de chacun sera établi en fonction de ses paramètres
biologiques, du sport qu’il pratique et de tout un tas d’autres
critères plus ou moins obscurs.
– Oui.
Et alors ?
– Et
alors rien de plus facile que de verser, dans tes aliments à toi,
une substance quelconque qui te ferait perdre tous tes moyens.
– Pour ?
Me virer des Sib, c’est ça, hein ! C’est dégueulasse.
C’est vraiment dégueulasse.
– Si
je t’en parle, c’est que c’est déjà arrivé. Et pas plus tard
que l’an dernier. Et, très vraisemblablement, à l’instigation
de Vassilène.
– Je
refuserai de bouffer
– Les
gardiennes t’y forceront.
– Et
ma prestation sera lamentable. Et je serai plus SIB. Et après…
Mais après peut-être que Korka arrivera à prendre le dessus.
– J’en
doute. Parce que Vassilène dispose d’un atout majeur. Elle peut
imposer une situation de fait. Qu’elle te les fasse couper,
d’autorité, et, par la force des choses, tu seras à elle. Parce
que qu’est-ce t’irais faire chez Korka une fois que tu les auras
plus ?
– Quelle
salope ! Ouais, je suis cuit, quoi !
– Pas
forcément.
– Et
tu vois quoi comme solution ?
– Je
te dirai. Laisse-moi réfléchir ! Je te dirai.
Ça
s’agite de tous les côtés. Aux sautoirs. Sur la piste. Aux
lancers.
Et
ça braille. Gardiennes et entraîneuses arrêtent pas de brailler.
– C’est
mou, tout ça, c’est mou. Allez, on se bouge !
Et
d’abattre leurs fouets à qui mieux mieux.
L’entraîneuse
en chef court dans tous les sens.
– Jamais
on sera prêts pour le douze. Jamais. Mais faites-moi bosser tout ça,
nom d’un chien ! Faites-les bosser…
On
redouble d’efforts. Et elles redoublent de coups de fouet.
Les
spectatrices, un peu plus nombreuses encore que d’habitude,
s’amusent comme des petites folles. Encouragent les gardiennes.
Leur dénoncent les tire-au-flanc.
– Celui-là,
là-bas, qui traîne la patte. Qui fait semblant.
Mes
supportrices habituelles sont là. Fidèles au poste. Fidèles à mon
sautoir. Et déchaînées.
– Allez,
vas-y ! Montre-nous ce que tu sais faire…
– Mais
pas trop non plus. Qu’on les voie te caresser les fesses. Parce
qu’elles en sont aujourd’hui de vous les chauffer.
– Allez !
À la une, à la deux, à la trois…
Et
je m’étale de tout mon long pendant ma course d’élan. Elles
applaudissent à tout rompre.
Les
gardiennes se ruent sur moi.
– Dix
minutes de pause. Profitez-en pour vous désaltérer.
Germie
s’approche.
– Ici,
il y a pas de micros. On peut parler. Alors que je te dise :
Alrich va se barrer.
– Comment
ça ?
– Tu
l’as vu courir ? Il restera pas Sib, c’est certain. Alors
foutu pour foutu, il a décidé de tenter le tout pour le tout. Et de
foutre le camp.
– Comme
ça ? La fleur au fusil ? Il aura pas fait trois cents
mètres qu’on l’aura ramassé.
– Non.
Parce qu’il a minutieusement préparé son départ. Et qu’il
bénéficie de la complicité d’une cythrienne qui lui est toute
dévouée.
– Vu
comme ça… Et il part quand ?
– Pendant
la dernière journée de compétition. Le dimanche. Il y aura foule.
Et une monumentale pagaille. L’occasion ou jamais d’en profiter.
– Il
y a quand même des risques.
– Ah,
ça, c’est sûr. Mais le jeu en vaut la chandelle. Et j’ai pas de
conseils à te donner, mais, à ta place, je partirais avec. Parce
que ta situation n’est guère plus florissante que la sienne. Et
même…
– Sauf
que cette dame n’aura pas forcément envie de s’encombrer de moi.
– J’en
ai touché deux mots à Alrich. Ça ne pose pas le moindre problème.
Disons que la dame est très gourmande et que la perspective d’avoir
deux mâles sous la main ne sera pas pour lui déplaire.
– Dans
ces conditions…
– Bon,
alors je t’explique vite fait. Parce qu’on n’a pas beaucoup de
temps. Et qu’il est hors de question de pouvoir parler de ça dans
notre cellule. À cinq heures précises ça se passera. Au moment où
la victoire commencera à se dessiner pour l’un ou l’autre des
amarillons. Où tout le monde aura les yeux rivés, le cœur battant,
sur les différentes épreuves. Où personne ne fera attention à
vous. Vous passerez discrètement, l’un après l’autre, lui
d’abord, derrière les douches. Le grillage aura été sectionné.
Une voiture vous attendra. Vous vous y engouffrerez.
– Et
on ira où ?
– Chez
elle. Où vous resterez cachés le temps que tout se calme. Qu’on
abandonne les recherches. Et le temps qu’elle profite un peu de
vous.
– Et
ensuite ?
– Elle
vous fera passer la frontière.
– À
moins qu’elle préfère nous garder définitivement sous le coude.
– Éventualité
qui n’est pas à exclure. Mais il n’y a pas d’autre choix que
de lui faire confiance. Et ce serait de toute façon moindre mal que
ce qui vous attend, l’un comme l’autre, en restant ici. Non ?
Les
fouets claquent.
– Bon,
allez ! On reprend. Tout le monde en piste.
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