Deux femmes au bord de
la route. Deux femmes dont les mains se lèvent simultanément dans ma direction,
quand je passe à leur hauteur. Qui pointent vers moi quelque chose de rouge et
de sphérique. Quelque chose qui me force à m’arrêter. Mes jambes ne m’obéissent
plus. Mes bras ne m’obéissent plus. Impossible de bouger la tête. Elles
s’approchent. Tout près. Débouchent un flacon dont elles me font respirer le
contenu. Tout chavire. Je perds connaissance…
Quand je reviens à moi, je suis dans un camion qui roule à
vive allure, assis, entravé, au beau milieu d’une douzaine de compagnons
d’infortune que les cahots de la route projettent les uns contre les autres.
– Qu’est-ce que je fais là ? Qu’est-ce qui s’est
passé ? Où on va ?
Mon voisin hausse les épaules.
– On est prisonniers.
– Prisonniers ? Mais de qui ?
– Des Cythriens. Ou plutôt des Cythriennes. Ce sont
elles qui ont le pouvoir là-bas.
– Mais pourquoi ? Qu’est-ce qu’on a fait ?
Qu’est-ce qu’elles nous veulent ?
– Elles ont besoin de main-d’œuvre. Alors de temps en
temps, comme ça, elles viennent se servir.
– Mais elles n’ont pas le droit !
Il éclate de rire.
– Parce que tu crois que ça les préoccupe ? Et qui
pourrait les en empêcher ? Nos dirigeants ? Depuis la catastrophe de
2072, ils sont réduits à l’impuissance la plus totale. S’opposer à elles ?
Avec quoi ? Comment ? On n’a plus d’armée. Plus de police. On n’a
plus rien. On serait laminés. Exterminés. Alors ils n’ont pas d’autre choix, en
haut lieu, que de laisser faire et de cacher, autant que faire se peut,
l’existence de ces expéditions qu’ils sont incapables d’empêcher. Inutile
d’affoler les populations.
Un grand rouquin intervient.
– Comment tu sais tout ça, toi ?
– Disons, pour faire bref, que, depuis des années, les
Cythriens me fascinent. Parce que voilà des gens que le grand cataclysme n’a
pas épargnés. Pas plus que le reste du monde. Mais qui ont réussi, en se
repliant sur eux-mêmes, en se coupant totalement de l’extérieur, à s’en sortir
et à développer, pour autant qu’on puisse en juger, une civilisation très
largement supérieure à la nôtre.
– Alors ça, je demande à voir. Parce que personne n’y
est jamais allé. Ou, du moins, n’en est jamais revenu.
– On va pas tarder à être fixés n’importe comment.
Le camion s’immobilise. Du silence. Un très long silence. Et
puis des voix. Féminines. Une langue étrangère. Ça s’éloigne. Ça revient. Les
bâches se soulèvent. Elles sont quatre, en uniformes verts, armées de longs fouets.
Quatre qui nous font descendre, un par un, nous poussent vers un vaste bâtiment
de brique rouge. Elles nous propulsent dans une grande pièce aux murs clairs,
aux larges baies vitrées, où elles nous ordonnent, par gestes, de nous
déshabiller. Complètement. Et vite. Les cravaches zèbrent l’air. Plus vite…
Plus vite… Nus. Tout nus. Mon voisin de tout à l’heure est projeté sans
ménagement vers une porte, au fond, derrière laquelle il disparaît. Un autre
lui succède. Un autre encore…
À mon tour. Derrière un bureau de bois sombre trône, entre
deux assistantes, une grande jeune femme brune au regard inquisiteur.
– Tu t’appelles comment ?
Dans un français impeccable.
– Hervain… Hervain Louquart…
Elle note.
– Et tu as quel âge ?
– 23 ans.
– Profession ?
– Étudiant.
– Sportif ?
– Je joue au handball.
– Tourne-toi ! Marche ! Va jusqu’à la fenêtre.
Reviens ! Encore !
Les deux assistantes s’avancent vers moi, me font lever les
bras, tendre les jambes. Me palpent les biceps. Les muscles des cuisses. Ceux
des fesses. L’une d’entre elles s’empare de ma queue, me la fait dresser,
insiste.
– Tu m’as l’air en très bonne forme, dis-moi ! Et
sur tous les plans.
Un grand coup de tampon sur la feuille
– Département SIB. C’est un grand honneur qu’on te fait
là. Tâche de t’en montrer digne. Sinon…
Sinon quoi ? Elle ne précise pas. On me remet entre les
mains de deux gardiennes qui m’empoignent fermement, m’entraînent à travers un
dédale de couloirs et d’escaliers jusqu’à une petite pièce aux murs nus dans
laquelle elles s’enferment avec moi.
– Excuse-toi !
– Hein, mais…
Le fouet s’abat. À toute volée.
– Et ferme-la !
Une autre grêle de coups. Sur le dos. Sur les fesses. Sur
l’arrière des cuisses.
– Alors ! Tu t’excuses, oui ?
Je m’excuse. Tout ce qu’on veut. Dix fois. Vingt fois. Je
demande pardon.
– Ah, quand même !
Une dernière rafale. Bien sentie. En point d’orgue. En
conclusion.
– Là ! Et que ça te serve de leçon !
Encore des couloirs. D’autres couloirs. Des escaliers. La
porte métallique d’une cellule dans laquelle elles me jettent sans ménagements.
Le cliquetis des clefs. La porte qui se referme. Leurs pas qui s’éloignent.
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