Dessin de Mike: http://placardemike.blogspot.com
Au
retour, Lancelot n’avait pas bougé. Il était toujours au coin,
les mains sur la tête.
– Il
va prendre racine à force…
– Non,
parce qu’on va le faire danser. Ça le réchauffera.
– Et
si ?
– Quoi,
Lauriane ?
– Et
si vous nous laissiez l’emmener là-haut, Greta et moi ? Chez
nous. On lui montrerait comme ça. Pour le ménage. La cuisine. Tout
le reste.
– Et
c’est quoi tout le reste ?
Elles
ont ri…
– Ben…
– Oh,
mais allez-y, hein ! Allez-y ! Faites-vous plaisir.
Elles
ne se le sont pas fait répéter deux fois. Elles l’ont poussé
vers la porte à grandes claques sur le cul. Une fesse chacune.
– Allez,
avance, grand feignant !
Il y
a encore eu des bruits de claques dans l’escalier. De grands rires.
Jessica
a hoché la tête.
– À
mon avis, il va prendre cher.
– Pas
grave ! Il adore ça.
Ce
qui préoccupait Pauline, elle, c’était de savoir comment les
choses étaient en train de tourner entre Luc et Pascal.
– Parce
que vous avez vu… Ils sont repartis ensemble.
– Peut-être
qu’ils avaient des choses à se dire.
– À
se dire… Ou à se faire.
– On
s’en fiche n’importe comment.
– Ben,
pas vraiment, moi !
– Pourquoi,
Pauline ? T’as des vues sur lui ?
– Ça
va pas, non ? N’importe quoi !
– Eh
ben alors ?
– Je
sais pas. Ça m’intrigue. Pas qu’ils couchent ensemble, non, ça,
j’m’en fous, mais c’est comme s’il y avait quelque chose de
beaucoup plus compliqué. Que j’arrive pas à cerner. Et ça
m’agace. Vous pouvez pas savoir ce que ça m’agace.
Bon,
mais c’était pas tout ça. Pour Duroc, le banquier, on faisait
quoi alors ?
– Ben,
on fonce, tiens ! On fonce.
Moi,
de mon côté, j’avais pas mal d’éléments. Des mails. Des SMS.
Et puis, la photo. C’était une bombe, cette photo. Mais elles ?
– C’est
vrai qu’on n’a pas trop travaillé le dossier. Pas assez.
– Faut
dire qu’avec tout ça, on savait plus trop où donner de la tête
non plus…
– Oh,
mais on va s’y mettre… On va s’y mettre…
Et
effectivement ! Une semaine plus tard, elles disposaient, l’une
comme l’autre, d’une quantité impressionnante de messages
compromettants. Pauline avait même réussi à lui soutirer une photo
sans avoir été pour autant contrainte, elle non plus, à lui
adresser la sienne.
– Bon,
ben feu alors !
Et
on a pris rendez-vous avec lui.
Il
nous a accueillies avec un large sourire. On ne peut plus commercial.
Nous a fait asseoir.
– Si
vous êtes là toutes les trois, c’est, je suppose, que vous avez
élaboré un projet en commun que vous avez l’intention de me
soumettre.
Voilà,
oui. C’était ça.
– La
ville et la région ont besoin de gens comme vous, dynamiques,
entreprenants, qui n’hésitent pas à s’engager et à prendre des
risques. Mesurés, bien entendu.
– Bien
entendu.
– Bon,
mais je vous écoute. Et nous verrons ce que nous pouvons faire.
Son
sourire s’est fait plus large encore.
J’ai
pris la parole.
– Écoutez,
on va pas tourner trois ans autour du pot. On va jouer carte sur
table.
– C’est
préférable, en effet.
– Alors
moi, vous me connaissez mieux – ou, en tout cas, aussi bien –
sous une autre identité.
Il a
levé un sourcil interrogateur.
– Veranha,
ça vous dit quelque chose ?
Son
sourire s’est figé. Il s’est décomposé.
– Je
ne comprends pas.
– Oh,
si, tu comprends. Tu comprends même très bien. Et c’est pas tout.
Parce que, là, à ma droite, tu as Famoulette et, de l’autre côté,
à ma gauche, Xaxiline. Alors ? Qu’est-ce tu dis de ça ?
Il
s’est littéralement liquéfié. Il est devenu brusquement tout
pâle. Ses mains se sont mises à trembler.
– Tu
payes pas de mine comme ça, mais t’es un sacré gourmand, quand
même, dans ton genre. N’empêche que là, va quand même falloir
que tu fasses un choix. Parce que j’imagine mal que tu puisses, à
ton âge, nous rendre hommage à toutes les trois à la file. Alors,
laquelle ? Famoulette ? Xaxiline ? Moi ? Alors ?
On attend.
– Je
sais pas. Je…
– Bon.
Eh bien, on va te laisser réfléchir. Jusqu’à ce soir. À huit
heures tu nous rejoindras à cette adresse. Tâche de t’être
décidé. Et de pas oublier de venir. Parce qu’on apprécierait
pas, mais alors là, pas du tout. Et ça te retomberait sur le nez.
Il
était là.
– T’as
trouvé facilement ? Oui ? Fais pas attention au désordre.
On est en pleins travaux. Bon, alors, t’as choisi ?
Il a
fait signe que oui. De la tête. Oui.
– Qui ?
– Elle !
– Wouah !
Qu’est-ce t’as de la chance, Pauline, dis donc ! Il veut te
tirer, le monsieur. T’es contente ?
– Depuis
le temps que j’en rêve !
– Oui,
hein ! Comment il est sexy avec ses cheveux blancs, ses bajoues
tombantes et sa peau toute flasque…
– Je
te le fais pas dire…
Et
elle lui a envoyé une petite pichenette sur le nez.
– Non,
mais franchement, Duroc, tu t’es regardé ? Tu t’imagines
quoi, sérieux ? Faudrait vraiment crever de faim.
– Cela
étant, tu vas quand même le tomber, le falzar… Et tu sais
pourquoi ? Parce que tu vas te prendre une bonne fessée
déculottée.
Il
s’est brusquement rebiffé.
– Cette
fois, ça suffit ! La plaisanterie a assez duré.
– Ah,
oui ? Tu crois ? Eh ben, c’est pas notre avis à nous…
Pas du tout. Et tu vas en passer par où on veut parce que, sinon,
demain tout le pays est au courant que c’est un gros pervers de
base, le banquier. Un fieffé cochon qui se tape ses clientes. Et
Madame Duroc ? Oh, la connaissant, c’est le genre de choses
qu’elle va sûrement beaucoup apprécier, Madame Duroc. On ira la
voir, tiens ! On lui racontera tout ça. En tête à tête.
Quitte, même, à en rajouter un peu. On sait être très
imaginatives quand on veut.
– Vous
êtes vraiment…
– Des
petits anges ? Oui, hein ! Et adorables comme tout. Bon,
mais allez, perdons pas de temps. Si tu veux pas aller au devant de
gros ennuis, tu discutes pas, tu dégringoles le bénard, on t’en
colle une bonne et on te laisse aller retrouver bobonne.
Pauline
a tiré une chaise, s’est installée.
– Allez,
papy, en place pour le quadrille.
Il a
longuement hésité. A avancé. Reculé. Recommencé.
– Bon,
allez, tu te magnes ? On n’a pas que ça à faire. Je compte
jusqu’à trois. Un… Deux…
Il
s’est précipitamment déculotté, couché en travers des genoux de
Pauline. Qui s’en est donnée à cœur-joie. Ah, comment il a
braillé le père Duroc ! Et quand elle l’a laissé se
relever, il avait le cul dans un état !
– Allez,
file ! On repassera te voir à la banque.
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