Maman
râlait.
‒ C’est
pas possible, ça ! Quand c’est ton père qui fait les
courses, il en oublie toujours la moitié. Tu voudrais pas aller me
chercher un sac de pommes de terre, Alexandre ?
Je
voulais bien, oui ! D’autant que ça m’arrangeait. Parce que
ça retardait d’autant le moment d’aller à côté retrouver
Margaux. J’appréhendais… Comment j’appréhendais ! Si
Aurélie avait mis ses menaces à exécution j’allais être bon,
une fois de plus, pour une cuisante fessée.
Et
ce sac de pommes de terre, j’ai pris tout mon temps pour le
rapporter.
J’allais,
la mort dans l’âme, me décider à me rendre enfin chez Margaux
quand maman a poussé un long soupir exaspéré.
‒ C’est
pas vrai ! C’est pas vrai qu’il a aussi oublié les
carottes !
Et
je suis reparti chercher des carottes.
La
caissière, une petite brune au regard vif, m’a suggéré en
rigolant.
‒ Si
c’est pour faire la soupe, vous devriez le prendre tout de suite,
le poireau. Ça vous éviterait
de revenir.
Non,
il y en avait des poireaux. Je les avais vus.
Mais
ça m’a donné une idée. Parce qu’elle était mignonne, la
fille. Elle me plaisait
bien. Margaux ? Oui, oh, Margaux, c’était autre chose. Ça ne
changeait rien du tout
à ce que j’éprouvais pour elle, Margaux. Et, d’ailleurs, c’est
elle qui m’avait poussé dans les bras d’Aurélie. Alors !
Et
je suis retourné chercher deux navets.
‒ Vous,
on peut pas dire, vous faites les courses en décomposé.
‒ Si
les caissières n’étaient pas si mignonnes aussi !
Elle
a fait celle qui n’avait pas entendu, mais elle souriait à
l’intérieur, ça se voyait.
J’ai
ramassé ma monnaie.
‒ Bon,
ben peut-être à tout à l’heure ! Des fois qu’il y ait
plus de sel…
Elle
a étouffé un fou rire.
Je
ne suis pas revenu. Ça aurait fait gros lourd. Mais c’était là
une piste que j’étais bien décidé à suivre.
C’est
finalement le cœur léger
que je me suis rendu chez Margaux.
‒ Alors ?
Hier ? Aurélie ?
‒ Oh,
bien, bien !
‒ Oui.
C’est aussi ce qu’elle m’a dit.
J’ai
poussé un immense soupir de soulagement. Même si c’était sans
doute reculer pour mieux sauter. Aurélie était bien décidée, je
le savais, à jouer au chat et à la souris avec moi. Je ne perdais
rien pour attendre.
‒ Comme
quoi, c’est efficace, la fessée ! La preuve ! Maintenant
tu as à cœur de satisfaire tes partenaires au lieu d’être
égoïstement centré sur toi-même.
J’ai
eu une petite pensée pour ma caissière que j’ai imaginée se
pâmant de volupté dans mes bras.
‒ Si,
au lieu de se lamenter à qui mieux mieux, toutes ces femmes qui se
plaignent à longueur de journée que leur compagnon ne leur donne
pas de plaisir prenaient le taureau par les cornes et lui
administraient une correction bien sentie chaque fois que son
comportement au lit le justifie, pas besoin de t’en faire que le
problème serait vite réglé. Et qu’elles le prendraient, leur
pied. Malheureusement, la plupart d’entre elles ont des scrupules.
Ou des tabous. Ou des schémas de pensée révolus. Ce qui revient
finalement au même. D’ailleurs, à ce propos, il faut que je te
fasse rencontrer quelqu’un.
‒ Quelqu’un ?
‒ Oui.
Anne. Une femme dont j’ai récemment fait la connaissance. On se
ressemble comme deux gouttes d’eau toutes les deux. Même âge.
Même situation. Même penchant pour les petits jeunes pleins de
sève. Et même problème. Son Thomas est plein de qualités, tout
pétri de bonnes intentions, mais part systématiquement au galop
vers sa propre satisfaction sans se soucier le moins du monde de
celle de sa partenaire qui ne l’obtient, de temps à autre, que par
raccroc. Il est vrai que, tout comme toi, il était puceau, mais
c’est pas vraiment une excuse. Parce que dix mille fois elle lui a
montré. Dix mille fois elle lui a expliqué. Mais il n’y a rien à
faire, il se laisse, chaque fois, emporter par son ardeur. Après, il
se confond en excuses. Il jure ses grands dieux que ça ne se
reproduira pas et, la fois d’après, il recommence. La solution, on
la connaît, toi et moi, la solution. Dans un premier temps, elle n’a
pas voulu en entendre parler. Ça
l’a même scandalisée. Et puis, petit à petit, l’idée a fait
son chemin. C’est une perspective à laquelle elle n’est plus du
tout réfractaire. Bien au contraire.
Et
c’était cette femme qu’elle voulait que je rencontre ?
‒ Elle,
oui. Oui. Bien sûr. Tu la verras. Mais ce qu’il faudrait surtout,
c’est que tu puisses discuter avec lui. Lui expliquer combien la
fessée a été bénéfique pour toi sur ce plan-là, comment elle
t’a amené à te soucier réellement de ta partenaire. Faire en
sorte qu’il comprenne que, s’il veut vraiment la garder, Anne, il
n’a pas d’autre solution que d’en passer par là. Je peux
compter sur toi ?
Elle
pouvait, oui.
‒ Parfait !
Bon, ben maintenant, tu vas venir t’occuper un peu de moi.
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