mercredi 12 février 2020

Premières armes (9)


Maman râlait.
‒ C’est pas possible, ça ! Quand c’est ton père qui fait les courses, il en oublie toujours la moitié. Tu voudrais pas aller me chercher un sac de pommes de terre, Alexandre ?
Je voulais bien, oui ! D’autant que ça m’arrangeait. Parce que ça retardait d’autant le moment d’aller à côté retrouver Margaux. J’appréhendais… Comment j’appréhendais ! Si Aurélie avait mis ses menaces à exécution j’allais être bon, une fois de plus, pour une cuisante fessée.
Et ce sac de pommes de terre, j’ai pris tout mon temps pour le rapporter.
J’allais, la mort dans l’âme, me décider à me rendre enfin chez Margaux quand maman a poussé un long soupir exaspéré.
‒ C’est pas vrai ! C’est pas vrai qu’il a aussi oublié les carottes !
Et je suis reparti chercher des carottes.
La caissière, une petite brune au regard vif, m’a suggéré en rigolant.
‒ Si c’est pour faire la soupe, vous devriez le prendre tout de suite, le poireau. Ça vous éviterait de revenir.
Non, il y en avait des poireaux. Je les avais vus.
Mais ça m’a donné une idée. Parce qu’elle était mignonne, la fille. Elle me plaisait bien. Margaux ? Oui, oh, Margaux, c’était autre chose. Ça ne changeait rien du tout à ce que j’éprouvais pour elle, Margaux. Et, d’ailleurs, c’est elle qui m’avait poussé dans les bras d’Aurélie. Alors !
Et je suis retourné chercher deux navets.
‒ Vous, on peut pas dire, vous faites les courses en décomposé.
‒ Si les caissières n’étaient pas si mignonnes aussi !
Elle a fait celle qui n’avait pas entendu, mais elle souriait à l’intérieur, ça se voyait.
J’ai ramassé ma monnaie.
‒ Bon, ben peut-être à tout à l’heure ! Des fois qu’il y ait plus de sel
Elle a étouffé un fou rire.
Je ne suis pas revenu. Ça aurait fait gros lourd. Mais c’était là une piste que j’étais bien décidé à suivre.

C’est finalement le cœur léger que je me suis rendu chez Margaux.
‒ Alors ? Hier ? Aurélie ?
‒ Oh, bien, bien !
‒ Oui. C’est aussi ce qu’elle m’a dit.
J’ai poussé un immense soupir de soulagement. Même si c’était sans doute reculer pour mieux sauter. Aurélie était bien décidée, je le savais, à jouer au chat et à la souris avec moi. Je ne perdais rien pour attendre.

‒ Comme quoi, c’est efficace, la fessée ! La preuve ! Maintenant tu as à cœur de satisfaire tes partenaires au lieu d’être égoïstement centré sur toi-même.
J’ai eu une petite pensée pour ma caissière que j’ai imaginée se pâmant de volupté dans mes bras.
‒ Si, au lieu de se lamenter à qui mieux mieux, toutes ces femmes qui se plaignent à longueur de journée que leur compagnon ne leur donne pas de plaisir prenaient le taureau par les cornes et lui administraient une correction bien sentie chaque fois que son comportement au lit le justifie, pas besoin de t’en faire que le problème serait vite réglé. Et qu’elles le prendraient, leur pied. Malheureusement, la plupart d’entre elles ont des scrupules. Ou des tabous. Ou des schémas de pensée révolus. Ce qui revient finalement au même. D’ailleurs, à ce propos, il faut que je te fasse rencontrer quelqu’un.
‒ Quelqu’un ?
‒ Oui. Anne. Une femme dont j’ai récemment fait la connaissance. On se ressemble comme deux gouttes d’eau toutes les deux. Même âge. Même situation. Même penchant pour les petits jeunes pleins de sève. Et même problème. Son Thomas est plein de qualités, tout pétri de bonnes intentions, mais part systématiquement au galop vers sa propre satisfaction sans se soucier le moins du monde de celle de sa partenaire qui ne l’obtient, de temps à autre, que par raccroc. Il est vrai que, tout comme toi, il était puceau, mais c’est pas vraiment une excuse. Parce que dix mille fois elle lui a montré. Dix mille fois elle lui a expliqué. Mais il n’y a rien à faire, il se laisse, chaque fois, emporter par son ardeur. Après, il se confond en excuses. Il jure ses grands dieux que ça ne se reproduira pas et, la fois d’après, il recommence. La solution, on la connaît, toi et moi, la solution. Dans un premier temps, elle n’a pas voulu en entendre parler. Ça l’a même scandalisée. Et puis, petit à petit, l’idée a fait son chemin. C’est une perspective à laquelle elle n’est plus du tout réfractaire. Bien au contraire.
Et c’était cette femme qu’elle voulait que je rencontre ?
‒ Elle, oui. Oui. Bien sûr. Tu la verras. Mais ce qu’il faudrait surtout, c’est que tu puisses discuter avec lui. Lui expliquer combien la fessée a été bénéfique pour toi sur ce plan-là, comment elle t’a amené à te soucier réellement de ta partenaire. Faire en sorte qu’il comprenne que, s’il veut vraiment la garder, Anne, il n’a pas d’autre solution que d’en passer par là. Je peux compter sur toi ?
Elle pouvait, oui.
‒ Parfait ! Bon, ben maintenant, tu vas venir t’occuper un peu de moi.

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