Elle
a surgi dans le séjour, nue, ébouriffée, tout ensommeillée.
– Qu’est-ce
qu’il se passe ? Quelle heure il est ? T’es déjà
levé ?
– Non.
Je me suis pas couché.
– Tu
t’es pas couché ! Mais qu’est-ce tu fais ?
– Comme
convenu, j’épluche son Facebook.
Elle
a contourné le canapé. S’est penchée, par-dessus mon épaule,
sur l’écran de l’ordinateur.
– Ah,
oui ! Et alors ?
– Et
alors j’ai une Estelle. Avec laquelle il est brièvement sorti, en
juin dernier. Ça a duré une semaine. Quelque chose comme ça. Avec
des cœurs et des bisous partout. Laquelle Estelle a, de son côté,
une amie, une dénommée Carla, qui n’est pas – ou plus –
dans sa liste à lui. Qui fait fréquemment allusion à « l’autre
animal ». C’est lui, de toute évidence. Il y a pas mal de
commentaires et, vu leur teneur, bon nombre de celles qui se
manifestent ont eu maille à partir avec lui. Ça saute aux yeux. Et
si je continue à fouiller, si j’établis des connexions entre ce
qui s’est écrit sur les différents murs, je dois pouvoir encore
faire des découvertes très intéressantes.
– C’est
peut-être pas nécessaire. On a suffisamment de grain à moudre
comme ça.
– Il
parlait de six ou sept filles, mais, à mon avis, il y en a beaucoup
plus, mais alors là vraiment beaucoup plus.
– Ce
qui me surprend pas. Il le porte sur lui qu’il a pas le moindre
scrupule. Dans quelque domaine que ce soit. Comme l’autre. Le
Christopher. Quand je te dis qu’ils sont copie conforme tous les
deux. Tu sais ce qu’il m’a fait à Vienne ? Attends !
Que je te raconte…
Elle
a fait le tour du canapé. A été sur le point de s’asseoir. S’est
ravisée.
– Et
moi qui me balade à poil. Tranquille. Faudrait peut-être quand même
que j’aille passer un truc…
J’ai
haussé les épaules.
– Si
tu veux, mais…
– Ça
te dérange pas.
– Pas
le moins du monde. C’est même…
– Tu
m’as déjà vue n’importe comment… Quand il y avait Charles.
Alors un peu plus, un peu moins…
Et
elle s’est assise.
– Oui.
Tu sais ce qu’il m’a fait ? J’avais rencontré un type à
Vienne. Ullrich. Beau comme un dieu. Tendre. Calin. Viril. Bref, le
genre de mec improbable que t’as une chance sur cent millions de
rencontrer. On s’était tourné un bon moment autour et puis
finalement, un soir, ça avait fini par le faire. Il baisait bien. En
plus. Et pas seulement. Ça prenait vraiment tournure tous les deux.
On s’entendait du feu de Dieu. On commençait à parler de
s’installer ensemble. On faisait des projets d’avenir, tout ça !
J’étais sur un petit nuage. Et puis, d’un coup, du jour au
lendemain, il a commencé à prendre ses distances. Il n’était
plus le même. Il me battait froid. Il y avait quelque chose. Je
voyais bien qu’il y avait quelque chose. Mais quoi ? Je
l’interrogeais. Il éludait. « Mais non, il y a rien. Tu te
l’imagines. » À force d’insistance, il a pourtant fini,
excédé, par cracher le morceau. « Je suis pas le seul. T’en
as d’autres. » « Quoi ? Qu’est-ce que c’est
que cette histoire ? » C’était eux, à l’atelier. Je
m’étais bien gardée de leur parler de lui. Et pour cause. Mais
ils avaient eu des soupçons. Ils m’avaient discrètement pistée
et ils avaient décidé de me casser le coup. Comme ça.
Gratuitement. Par pure méchanceté. Parce qu’ils m’avaient pris
en grippe. C’est Christopher qui s’en est chargé. Il a pris
contact avec Ullrich qui savait, bien sûr, que j’étudiais la
peinture avec Weber, mais je ne lui avais pas dit, parce que ça ne
s’était pas présenté, parce que ça ne m’avait pas paru
important, parce que j’attendais l’occasion, que je posais nue
pour lui. Pour eux. Il a accusé le coup. Et Christopher a joué sur
du velours. Il lui a raconté les pires horreurs sur mon compte.
Qu’ils m’étaient tous passés dessus à l’atelier. Absolument
tous. Il a voulu les rencontrer. Pour en avoir le cœur net. Et comme
ils étaient de mèche, non seulement ils ont fait chorus, mais ils
m’ont prêté, en prime, toutes sortes d’aventures imaginaires.
J’ai eu beau nier, jurer mes grands dieux, argumenter, protester
tant et plus, rien n’y a fait. Il me croyait le lundi et ne me
croyait plus le mardi. On s’est épuisés en discussions stériles
qui ont fini par tourner régulièrement en disputes. C’était
épuisant. Pour l’un comme pour l’autre. Et on a mis un terme. Tu
comprends comment j’ai pu avoir la haine ? Comment je l’ai
encore ?
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