mercredi 9 janvier 2019

Julie, artiste peintre fesseuse (22)


Elle a surgi dans le séjour, nue, ébouriffée, tout ensommeillée.
– Qu’est-ce qu’il se passe ? Quelle heure il est ? T’es déjà levé ?
– Non. Je me suis pas couché.
– Tu t’es pas couché ! Mais qu’est-ce tu fais ?
– Comme convenu, j’épluche son Facebook.
Elle a contourné le canapé. S’est penchée, par-dessus mon épaule, sur l’écran de l’ordinateur.
– Ah, oui ! Et alors ?
– Et alors j’ai une Estelle. Avec laquelle il est brièvement sorti, en juin dernier. Ça a duré une semaine. Quelque chose comme ça. Avec des cœurs et des bisous partout. Laquelle Estelle a, de son côté, une amie, une dénommée Carla, qui n’est pas – ou plus – dans sa liste à lui. Qui fait fréquemment allusion à « l’autre animal ». C’est lui, de toute évidence. Il y a pas mal de commentaires et, vu leur teneur, bon nombre de celles qui se manifestent ont eu maille à partir avec lui. Ça saute aux yeux. Et si je continue à fouiller, si j’établis des connexions entre ce qui s’est écrit sur les différents murs, je dois pouvoir encore faire des découvertes très intéressantes.
– C’est peut-être pas nécessaire. On a suffisamment de grain à moudre comme ça.
– Il parlait de six ou sept filles, mais, à mon avis, il y en a beaucoup plus, mais alors là vraiment beaucoup plus.
– Ce qui me surprend pas. Il le porte sur lui qu’il a pas le moindre scrupule. Dans quelque domaine que ce soit. Comme l’autre. Le Christopher. Quand je te dis qu’ils sont copie conforme tous les deux. Tu sais ce qu’il m’a fait à Vienne ? Attends ! Que je te raconte…
Elle a fait le tour du canapé. A été sur le point de s’asseoir. S’est ravisée.
– Et moi qui me balade à poil. Tranquille. Faudrait peut-être quand même que j’aille passer un truc…
J’ai haussé les épaules.
– Si tu veux, mais…
– Ça te dérange pas.
– Pas le moins du monde. C’est même…
– Tu m’as déjà vue n’importe comment… Quand il y avait Charles. Alors un peu plus, un peu moins…
Et elle s’est assise.
– Oui. Tu sais ce qu’il m’a fait ? J’avais rencontré un type à Vienne. Ullrich. Beau comme un dieu. Tendre. Calin. Viril. Bref, le genre de mec improbable que t’as une chance sur cent millions de rencontrer. On s’était tourné un bon moment autour et puis finalement, un soir, ça avait fini par le faire. Il baisait bien. En plus. Et pas seulement. Ça prenait vraiment tournure tous les deux. On s’entendait du feu de Dieu. On commençait à parler de s’installer ensemble. On faisait des projets d’avenir, tout ça ! J’étais sur un petit nuage. Et puis, d’un coup, du jour au lendemain, il a commencé à prendre ses distances. Il n’était plus le même. Il me battait froid. Il y avait quelque chose. Je voyais bien qu’il y avait quelque chose. Mais quoi ? Je l’interrogeais. Il éludait. « Mais non, il y a rien. Tu te l’imagines. » À force d’insistance, il a pourtant fini, excédé, par cracher le morceau. « Je suis pas le seul. T’en as d’autres. » « Quoi ? Qu’est-ce que c’est que cette histoire ? » C’était eux, à l’atelier. Je m’étais bien gardée de leur parler de lui. Et pour cause. Mais ils avaient eu des soupçons. Ils m’avaient discrètement pistée et ils avaient décidé de me casser le coup. Comme ça. Gratuitement. Par pure méchanceté. Parce qu’ils m’avaient pris en grippe. C’est Christopher qui s’en est chargé. Il a pris contact avec Ullrich qui savait, bien sûr, que j’étudiais la peinture avec Weber, mais je ne lui avais pas dit, parce que ça ne s’était pas présenté, parce que ça ne m’avait pas paru important, parce que j’attendais l’occasion, que je posais nue pour lui. Pour eux. Il a accusé le coup. Et Christopher a joué sur du velours. Il lui a raconté les pires horreurs sur mon compte. Qu’ils m’étaient tous passés dessus à l’atelier. Absolument tous. Il a voulu les rencontrer. Pour en avoir le cœur net. Et comme ils étaient de mèche, non seulement ils ont fait chorus, mais ils m’ont prêté, en prime, toutes sortes d’aventures imaginaires. J’ai eu beau nier, jurer mes grands dieux, argumenter, protester tant et plus, rien n’y a fait. Il me croyait le lundi et ne me croyait plus le mardi. On s’est épuisés en discussions stériles qui ont fini par tourner régulièrement en disputes. C’était épuisant. Pour l’un comme pour l’autre. Et on a mis un terme. Tu comprends comment j’ai pu avoir la haine ? Comment je l’ai encore ?

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