Je
suis brutalement tiré de mon sommeil par tout un remue-ménage au
cœur de la nuit. Des cris. Des hurlements. Des claquements de fouet.
Alrich
se redresse sur son lit, allume.
– Qu’est-ce
qu’il se passe ?
– Qu’est-ce
que tu veux que j’en sache ?
Ça
se rapproche.
– Sortez !
Sortez des cellules ! Les mains sur la tête. Allez !
Se
rapproche encore.
– Elles
ont l’air furieuses.
– Elles
ont pas l’air. Elles le sont.
Elles
font brutalement irruption dans notre cellule.
– Debout !
Et on se dépêche ! Dehors !
Elles
nous gratifient, au passage, l’un et l’autre, d’une bonne
cinglée sur les cuisses.
– Vous
restez là. Vous bougez pas.
Près
de la porte. Mains sur la tête. Comme les autres. Comme tous les
autres.
On
les entend s’activer à l’intérieur. Vider sans ménagement les
placards. Renverser les lits.
– Mais
qu’est-ce qu’elles cherchent ?
Alrich
a un haussement d’épaules d’ignorance désabusée.
On
nous rassemble au bout du couloir.
– Allez,
en route !
– Mais
elles nous emmènent où comme ça ?
Derrière,
Gamelot veut faire de l’humour.
– Au
réfectoire, sûrement. Deux heures du matin. Il commence à faire
faim.
Ce
qui lui vaut aussitôt une dizaine de cinglées particulièrement
appuyées.
– On
la ferme.
L’escalier
B. La cour. Elles nous y font mettre en rangs. Toujours les mains sur
la tête.
– Et
on ne bouge pas.
Elles
ne nous quittent pas des yeux.
Yrvert
me pousse légèrement du coude.
– Il
y en a deux qui se sont fait la malle. C’est pour ça, tout ce
cirque.
– Qui ?
– On
sait pas.
Je
fais, à mon tour, discrètement passer l’info à Alrich.
Elles
nous laissent longtemps dans cette position. Une heure. Deux.
Peut-être trois. Je ne sais pas. Je ne sais plus. J’ai totalement
perdu la notion du temps. Il nous est formellement interdit de
bouger. Le moindre mouvement se paie cash. Tous mes membres se sont,
les uns après les autres, engourdis. La nuit de juin est
inhabituellement froide. Je grelotte. On grelotte
Il
finit par apparaître des lumières sur la droite. Un groupe. Des
Cythriennes. De grosses huiles. Des projecteurs s’allument, nous
aveuglent. Elles nous passent lentement en revue, nous tiennent
longuement sous leurs regards. Et puis une voix forte s’élève,
celle d’une cythrienne vêtue d’une longue tunique rouge.
– Il
y a des complicités parmi vous. Nous le savons.
Elle
marque un long temps d’arrêt.
– J’attends
que les coupables se dénoncent.
Un
autre.
– Vous
avez trente secondes.
Personne
ne pipe mot.
– Très
bien. Vous l’aurez voulu.
Et
elles s’éclipsent.
Les
gardiennes nous ramènent dans nos cellules.
– Ce
champ de bataille !
On
remet nos matelas en place.
– Quant
au reste, on verra demain.
On a
à peine le temps de se glisser entre les draps qu’elles surgissent
à nouveau, qu’elles nous les arrachent, que les fouets s’abattent.
– Vous
rangez tout ça. Vous dormirez après.
Dans
le car qui nous emmène au stade tout le monde est plus ou moins
amorphe.
– Deux
heures de sommeil ! Et encore ! Ah, ça va être beau à
l’entraînement !
Elles
passent et repassent dans le couloir central pour nous empêcher de
nous endormir.
Là-bas,
on est accueillis par des huées.
– Qu’est-ce
qui leur prend ?
– À
tous les coups, c’est à cause des deux évadés de cette nuit.
– Dont
on sait d’ailleurs toujours pas qui c’est.
– Des
types d’un autre groupe, sûrement. On est tellement nombreux à
l’amillon trois.
Plus
on approche et plus les cris se font hargneux, les vociférations
agressives.
– On
n’y est pour rien, nous, s’il y en a qui se sont barrés.
– Va
leur expliquer…
Je
saute et resaute. Dans un semi-brouillard. Pour des résultats
pitoyables.
– Mais
qu’est-ce t’as, aujourd’hui ?
J’essaie
d’expliquer. La nuit sans sommeil. La longue immobilité
tétanisante dans le froid.
Elle
hausse furieusement les épaules.
– Prétextes !
Dégage, tiens, tu m’agaces…
Je
prends, tête basse, la direction des douches. Aussi discrètement
que possible.
Une
femme au sourire carnassier m’aborde devant la porte.
– Tu
me reconnais pas ?
– Si !
C’est
celle qui, le jour de la générale, avait espéré pouvoir me
fouetter.
– Mais
tu ne t’es pas montré très coopératif.
Je
bafouille lamentablement quelque chose à propos d’entraînement,
de résultats, des jeux pancythriens qui approchent.
Elle
hausse les épaules.
– Oh,
mais tu vas avoir droit à une petite séance de rattrapage. Viens !
À
l’entrée, les gardiennes nous arrêtent.
– On
ne passe pas.
Elle
leur brandit sous le nez une carte barrée de jaune et de vert.
Elles
s’écartent aussitôt.
– Excusez-nous !
Allez-y !
On
est seuls.
– Tu
t’es mis Vassilène à dos.
– Moi ?
– Toi,
oui ! Parce que voilà une dirigeante – et une des plus
haut placées – qui a la bonté de jeter son dévolu sur toi.
Qui, en attendant de pouvoir te prendre à son service, t’offre
généreusement des cours de cythrien. Et toi, en guise de
remerciement, tu trouves rien de mieux à faire que de te laisser
embrigader par Korka.
– Mais
non, mais…
– C’est
pas vrai, peut-être ?
– On
m’a pas demandé mon avis. On m’a emmené. J’ai obéi. Le moyen
de faire autrement ?
– Oui,
ben ça, tu tâcheras d’en trouver un, de moyen. Et vite. Parce
que, sinon, tu risques d’aller au-devant de très très gros
ennuis.
J’essaie
de discuter. Elle me fait sèchement taire.
– En
attendant, on va t’offrir un petit acompte.
Elle
extirpe un martinet de sa tunique.
– Tu
vas danser, mon garçon ! Et tâche de faire ça bien. Vassilène
te regarde.
Je
danse. Longtemps. Et de plus en plus haut.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire