mercredi 20 juin 2018

Prisonnier des Cythriennes (9)


Je suis brutalement tiré de mon sommeil par tout un remue-ménage au cœur de la nuit. Des cris. Des hurlements. Des claquements de fouet.
Alrich se redresse sur son lit, allume.
– Qu’est-ce qu’il se passe ?
– Qu’est-ce que tu veux que j’en sache ?
Ça se rapproche.
– Sortez ! Sortez des cellules ! Les mains sur la tête. Allez !
Se rapproche encore.
– Elles ont l’air furieuses.
– Elles ont pas l’air. Elles le sont.
Elles font brutalement irruption dans notre cellule.
– Debout ! Et on se dépêche ! Dehors !
Elles nous gratifient, au passage, l’un et l’autre, d’une bonne cinglée sur les cuisses.
– Vous restez là. Vous bougez pas.
Près de la porte. Mains sur la tête. Comme les autres. Comme tous les autres.
On les entend s’activer à l’intérieur. Vider sans ménagement les placards. Renverser les lits.
– Mais qu’est-ce qu’elles cherchent ?
Alrich a un haussement d’épaules d’ignorance désabusée.

On nous rassemble au bout du couloir.
– Allez, en route !
– Mais elles nous emmènent où comme ça ?
Derrière, Gamelot veut faire de l’humour.
– Au réfectoire, sûrement. Deux heures du matin. Il commence à faire faim.
Ce qui lui vaut aussitôt une dizaine de cinglées particulièrement appuyées.
– On la ferme.
L’escalier B. La cour. Elles nous y font mettre en rangs. Toujours les mains sur la tête.
– Et on ne bouge pas.
Elles ne nous quittent pas des yeux.
Yrvert me pousse légèrement du coude.
– Il y en a deux qui se sont fait la malle. C’est pour ça, tout ce cirque.
– Qui ?
– On sait pas.
Je fais, à mon tour, discrètement passer l’info à Alrich.

Elles nous laissent longtemps dans cette position. Une heure. Deux. Peut-être trois. Je ne sais pas. Je ne sais plus. J’ai totalement perdu la notion du temps. Il nous est formellement interdit de bouger. Le moindre mouvement se paie cash. Tous mes membres se sont, les uns après les autres, engourdis. La nuit de juin est inhabituellement froide. Je grelotte. On grelotte
Il finit par apparaître des lumières sur la droite. Un groupe. Des Cythriennes. De grosses huiles. Des projecteurs s’allument, nous aveuglent. Elles nous passent lentement en revue, nous tiennent longuement sous leurs regards. Et puis une voix forte s’élève, celle d’une cythrienne vêtue d’une longue tunique rouge.
– Il y a des complicités parmi vous. Nous le savons.
Elle marque un long temps d’arrêt.
– J’attends que les coupables se dénoncent.
Un autre.
– Vous avez trente secondes.
Personne ne pipe mot.
– Très bien. Vous l’aurez voulu.
Et elles s’éclipsent.

Les gardiennes nous ramènent dans nos cellules.
– Ce champ de bataille !
On remet nos matelas en place.
– Quant au reste, on verra demain.
On a à peine le temps de se glisser entre les draps qu’elles surgissent à nouveau, qu’elles nous les arrachent, que les fouets s’abattent.
– Vous rangez tout ça. Vous dormirez après.

Dans le car qui nous emmène au stade tout le monde est plus ou moins amorphe.
– Deux heures de sommeil ! Et encore ! Ah, ça va être beau à l’entraînement !
Elles passent et repassent dans le couloir central pour nous empêcher de nous endormir.
Là-bas, on est accueillis par des huées.
– Qu’est-ce qui leur prend ?
– À tous les coups, c’est à cause des deux évadés de cette nuit.
– Dont on sait d’ailleurs toujours pas qui c’est.
– Des types d’un autre groupe, sûrement. On est tellement nombreux à l’amillon trois.
Plus on approche et plus les cris se font hargneux, les vociférations agressives.
– On n’y est pour rien, nous, s’il y en a qui se sont barrés.
– Va leur expliquer…

Je saute et resaute. Dans un semi-brouillard. Pour des résultats pitoyables.
– Mais qu’est-ce t’as, aujourd’hui ?
J’essaie d’expliquer. La nuit sans sommeil. La longue immobilité tétanisante dans le froid.
Elle hausse furieusement les épaules.
– Prétextes ! Dégage, tiens, tu m’agaces…
Je prends, tête basse, la direction des douches. Aussi discrètement que possible.
Une femme au sourire carnassier m’aborde devant la porte.
– Tu me reconnais pas ?
– Si !
C’est celle qui, le jour de la générale, avait espéré pouvoir me fouetter.
– Mais tu ne t’es pas montré très coopératif.
Je bafouille lamentablement quelque chose à propos d’entraînement, de résultats, des jeux pancythriens qui approchent.
Elle hausse les épaules.
– Oh, mais tu vas avoir droit à une petite séance de rattrapage. Viens !
À l’entrée, les gardiennes nous arrêtent.
– On ne passe pas.
Elle leur brandit sous le nez une carte barrée de jaune et de vert.
Elles s’écartent aussitôt.
– Excusez-nous ! Allez-y !

On est seuls.
– Tu t’es mis Vassilène à dos.
– Moi ?
– Toi, oui ! Parce que voilà une dirigeante – et une des plus haut placées – qui a la bonté de jeter son dévolu sur toi. Qui, en attendant de pouvoir te prendre à son service, t’offre généreusement des cours de cythrien. Et toi, en guise de remerciement, tu trouves rien de mieux à faire que de te laisser embrigader par Korka.
– Mais non, mais…
– C’est pas vrai, peut-être ?
– On m’a pas demandé mon avis. On m’a emmené. J’ai obéi. Le moyen de faire autrement ?
– Oui, ben ça, tu tâcheras d’en trouver un, de moyen. Et vite. Parce que, sinon, tu risques d’aller au-devant de très très gros ennuis.
J’essaie de discuter. Elle me fait sèchement taire.
– En attendant, on va t’offrir un petit acompte.
Elle extirpe un martinet de sa tunique.
– Tu vas danser, mon garçon ! Et tâche de faire ça bien. Vassilène te regarde.
Je danse. Longtemps. Et de plus en plus haut.

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