– Tu es bien douillet…
– Oh, non, non, mais…
– Ne nie pas l’évidence… J’ai horreur de
ça…
– Je… Je suis douillet, oui… Vous avez
raison…
– Évidemment que j’ai raison… J’ai
toujours raison… Et j’ai de la suite dans les idées… Non ? Tu crois
pas ?
– Certainement…
– Et qu’est-ce que je vais te
demander ?
– Pourquoi je suis là…
– Tu es très perspicace… Et pourquoi tu
es là ?
– Je vous ai dit…
– Tu es décidément très têtu,
hein ? Une vraie tête de lard… Mais moi aussi… Alors ? Je t’écoute…
Il est resté silencieux, bras ballants,
les yeux fixés sur le bout de ses chaussures…
– Bien… Alors on va s’y prendre
autrement… Tu es marié ? En couple ?
– Non…
– Tu l’as été ?
– Non plus, non… Enfin pas vraiment…
– J’en étais sûre… Et tu fais quoi dans
la vie ?
– Comptable… Aide-comptable…
– Et ça te convient ? Tu es
content ?
– Il faut bien vivre…
– Et c’est là toute ton ambition ?
Aligner des chiffres à longueur de journée…
– Mais non, mais…
– Ah, non ? Tu t’occupes à quoi
alors le reste du temps ? C’est quoi ta vie ? Tu regardes le foot à
la télé… Un porno le soir avant de t’endormir… Le week-end tu vas sagement
manger chez papa-maman… Et puis voilà… Non ? C’est pas comme ça que ça se
passe ?
– Un peu, si, mais…
– Mais quoi ?
– Un jour…
– Un jour… Ben voyons ! Un jour… Il
se passera quoi un jour ? Rien… Et tu le sais très bien… Tu es englué dans
ta routine… Tu as des rêves, oui… Des projets… Depuis des éternités…Tu les
caresses… Tu te berces de l’illusion que tu vas les réaliser… Mais tu ne fais
rien – absolument rien – pour leur donner ne serait-ce qu’un début de
commencement de réalisation… Et je suis prête à parier qu’à quatre-vingts ans
tu en seras toujours au même point…
– Non… Non… Je…
– Bien sûr que si ! C’est quoi qui
te retient ? La paresse ? La peur d’échouer ? Celle de te
trouver confronté, sans pouvoir tricher, à toi-même ? Pas facile de devoir
se regarder en face, hein ? On recule… On tergiverse… On s’invente mille
bonnes raisons… On en est – il faut bien le dire – le plus souvent incapable…
Vous en êtes, vous, les hommes, dans l’immense majorité des cas, totalement incapables…
À la fois trop fragiles et trop imbus de vous-mêmes… Ce qui revient finalement
au-même… Et vous paralyse complètement… Ce qu’il vous faut, c’est une poigne…
Quelqu’un – une femme, parce qu’elles n’ont pas peur d’elles-mêmes – qui vous
prenne en mains et qui vous contraigne à vous colleter avec vous-mêmes… Et vous
le savez… Tout au fond de vous-mêmes vous le savez… Tout au fond de toi-même tu
le sais… Ou du moins tu le soupçonnes… Non ?
– Si… Un peu…
– Et du coup la raison de ta présence
ici… Elle est là la raison… Quelque chose t’a poussé… Quelque chose de plus
fort que toi… D’irrésistible… Qu’il t’était impossible de t’avouer… Le secret
espoir en fait qu’une femme allait te prendre enfin sous sa coupe… Te guider et
te diriger… Te délivrer de la terreur d’être toi-même… Tu ne dis rien ? Tu
ne réponds rien ?
– Non… Non, mais…
– Mais quel soulagement dans tes yeux !
Quelle reconnaissance !
– Je…
– Tu es à moi…
– Oui…
– Je vais exiger beaucoup de toi, tu
sais ! Énormément…
– Tout ce que vous voudrez… Tout…
– Eh ben dis donc, toi ! Pour un
coup d’essai…
– Oui… Elle a fait fort…
– Et c’est elle qu’a raison… On n’ose
pas assez finalement… On pourrait obtenir beaucoup d’eux si on voulait s’en
donner la peine…
– Et tu comptes en faire quoi de ce
brave Bastien si c’est pas indiscret ?
– Le faire briller de tous ses feux… Il
ne m’en appartiendra que davantage…
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire