mercredi 10 avril 2013

Le Centre2 ( 14 )


– Tu es bien douillet…
– Oh, non, non, mais…
– Ne nie pas l’évidence… J’ai horreur de ça…
– Je… Je suis douillet, oui… Vous avez raison…
– Évidemment que j’ai raison… J’ai toujours raison… Et j’ai de la suite dans les idées… Non ? Tu crois pas ?
– Certainement…
– Et qu’est-ce que je vais te demander ?
– Pourquoi je suis là…
– Tu es très perspicace… Et pourquoi tu es là ?
– Je vous ai dit…
– Tu es décidément très têtu, hein ? Une vraie tête de lard… Mais moi aussi… Alors ? Je t’écoute…
Il est resté silencieux, bras ballants, les yeux fixés sur le bout de ses chaussures…
– Bien… Alors on va s’y prendre autrement… Tu es marié ? En couple ?
– Non…
– Tu l’as été ?
– Non plus, non… Enfin pas vraiment…
– J’en étais sûre… Et tu fais quoi dans la vie ?
– Comptable… Aide-comptable…
– Et ça te convient ? Tu es content ?
– Il faut bien vivre…
– Et c’est là toute ton ambition ? Aligner des chiffres à longueur de journée…
– Mais non, mais…
– Ah, non ? Tu t’occupes à quoi alors le reste du temps ? C’est quoi ta vie ? Tu regardes le foot à la télé… Un porno le soir avant de t’endormir… Le week-end tu vas sagement manger chez papa-maman… Et puis voilà… Non ? C’est pas comme ça que ça se passe ?
– Un peu, si, mais…
– Mais quoi ?
– Un jour…
– Un jour… Ben voyons ! Un jour… Il se passera quoi un jour ? Rien… Et tu le sais très bien… Tu es englué dans ta routine… Tu as des rêves, oui… Des projets… Depuis des éternités…Tu les caresses… Tu te berces de l’illusion que tu vas les réaliser… Mais tu ne fais rien – absolument rien – pour leur donner ne serait-ce qu’un début de commencement de réalisation… Et je suis prête à parier qu’à quatre-vingts ans tu en seras toujours au même point…
– Non… Non… Je…
– Bien sûr que si ! C’est quoi qui te retient ? La paresse ? La peur d’échouer ? Celle de te trouver confronté, sans pouvoir tricher, à toi-même ? Pas facile de devoir se regarder en face, hein ? On recule… On tergiverse… On s’invente mille bonnes raisons… On en est – il faut bien le dire – le plus souvent incapable… Vous en êtes, vous, les hommes, dans l’immense majorité des cas, totalement incapables… À la fois trop fragiles et trop imbus de vous-mêmes… Ce qui revient finalement au-même… Et vous paralyse complètement… Ce qu’il vous faut, c’est une poigne… Quelqu’un – une femme, parce qu’elles n’ont pas peur d’elles-mêmes – qui vous prenne en mains et qui vous contraigne à vous colleter avec vous-mêmes… Et vous le savez… Tout au fond de vous-mêmes vous le savez… Tout au fond de toi-même tu le sais… Ou du moins tu le soupçonnes… Non ?
– Si… Un peu…
– Et du coup la raison de ta présence ici… Elle est là la raison… Quelque chose t’a poussé… Quelque chose de plus fort que toi… D’irrésistible… Qu’il t’était impossible de t’avouer… Le secret espoir en fait qu’une femme allait te prendre enfin sous sa coupe… Te guider et te diriger… Te délivrer de la terreur d’être toi-même… Tu ne dis rien ? Tu ne réponds rien ?
– Non… Non, mais…
– Mais quel soulagement dans tes yeux ! Quelle reconnaissance !
– Je…
– Tu es à moi…
– Oui…
– Je vais exiger beaucoup de toi, tu sais ! Énormément…
– Tout ce que vous voudrez… Tout…

– Eh ben dis donc, toi ! Pour un coup d’essai…
– Oui… Elle a fait fort…
– Et c’est elle qu’a raison… On n’ose pas assez finalement… On pourrait obtenir beaucoup d’eux si on voulait s’en donner la peine…
– Et tu comptes en faire quoi de ce brave Bastien si c’est pas indiscret ?
– Le faire briller de tous ses feux… Il ne m’en appartiendra que davantage… 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire