Plus que cinq jours avant le grand référendum. Et tous les sondages vont dans le même sens. Le « oui » devrait l’emporter avec plus de 82 % des voix. Autant dire que c’est plié. Et ce, d’autant plus que notre gouvernement, qui compte une majorité de femmes, fait le forcing. D’un côté, en s’appuyant sur toutes sortes d’études et de statistiques qu’il prétend incontestables, il vante à l’envi les mérites des châtiments corporels publics qui, s’agissant des crimes et délits sexuels, seraient, selon lui, hautement dissuasifs et, de l’autre, il met l’accent sur les dégâts provoqués par la prison sur ceux qui sont amenés à y séjourner. Et je dois bien reconnaître qu’un certain nombre des arguments qui sont mis en avant tiennent la route. Quand il a passé un certain nombre d’années incarcéré, un individu est totalement désocialisé. Dans l’immense majorité des cas, à la sortie, il aura perdu son emploi et aura toutes les difficultés du monde à en retrouver un. Bien souvent, lassée de l’attendre ou révulsée par les actes qu’il a commis, sa femme l’aura quitté. Il va alors se tourner, par la force des choses, vers d’anciens compagnons de détention qui l’accueilleront et l’entraîneront avec eux dans des trafics et méfaits divers auxquels il était resté jusque-là totalement étranger. Et ce sera la spirale infernale. Arguments convaincants, j’en conviens, mais qui ne parviennent néanmoins pas à me convaincre complètement. L’idée qu’on puisse fouetter publiquement un individu, quoi qu’il ait fait, continue à me hérisser le poil. Question de génération sans doute : Manon et ses amies ne comprennent absolument pas mes scrupules.
‒ Mais t’es une femme, maman, enfin ! Tu veux pas qu’on te foute la paix ?
‒ Si ! Bien sûr que si !
‒ Eh ben alors ! C’est la seule solution. Comment faut te le dire ?
Et elles me noient sous un déluge de vidéos d’agressions récentes, toutes plus sordides les unes que les autres.
‒ Et ça ! Et ça ! Et ça !
‒ Je sais bien, oui !
‒ Et t’hésites encore ! Quand ils se seront pris une bonne correction à poil devant tout le monde, tous ces types, crois-moi que ça leur en fera passer l’envie. À eux et à ceux qui pourraient être tentés de les imiter.
‒ À poil ? Peut-être pas quand même !
‒ Mais si ! T’as pas entendu la ministre ? Elle veut obtenir des résultats significatifs aussi rapidement que possible. Et elle a été très claire là-dessus. Il ne doit subsister, avant le vote, aucune ambiguïté sur les intentions du gouvernement en ce qui concerne cette loi. Or, les rapports d’experts qui lui ont été remis vont tous dans le même sens : pour que ce soit efficace, pour que la sanction soit réellement dissuasive, il faut qu’elle soit la plus mortifiante possible. Les décrets d’application prévoiront donc que la nudité intégrale sera de mise, lors de l’application de la sentence, pour tous les individus condamnés pour agression sexuelle. Et il y a pas que ça. L’exécution sera systématiquement diffusée sur une chaîne nationale, hors heures de grande écoute bien sûr, pour préserver les enfants.
Son amie Zara avait lu ça, elle aussi, oui.
‒ Mais moi, c’est pas à la télé que je veux voir ça. C’est sur place. Même s’il me faut, pour ça, courir jusqu’à l’autre bout de la France. Et au premier rang. Même s’il me faut, pour ça, apporter mon sac de couchage et dormir sur place.
Les autres aussi étaient partantes.
‒ Toutes ensemble, on ira. Et on va te leur coller une de ces hontes à ces salauds ! Ils vont nous entendre, ça, c’est sûr !
‒ Et en prendre pour leur grade !
J’ai émis l’idée que, peut-être, ce n’était pas vraiment nécessaire.
Elle a bondi.
‒ Et eux ! Eux ! Quand ils se sont mis à quatre pour me dépoiler en boîte devant tout le monde et me pisser dessus, oui, me pisser dessus, c’était nécessaire, ça ? J’en fais encore des cauchemars. Presque toutes les nuits.
Alexine, elle, c’était dans un local poubelle.
‒ Qu’ils m’ont… Qu’ils m’ont…
Elle n’a pas pu continuer. Elle a éclaté en sanglots.