mercredi 5 décembre 2018

Julie, artiste peintre fesseuse (17)


– Cette raclée qu’il s’est ramassée !
– Oui, hein ! Je suis pas mécontente de moi.
– Et quel pied t’as pris à la lui flanquer !
– Ça s’est vu tant que ça ?
– Comme le nez au milieu de la figure.
– C’est sa faute aussi ! On n’a pas idée de ressembler, comme deux gouttes d’eau, à cette espèce d’enflure de Christopher.
– C’était qui ce Christopher ?
– Une belle petite saloperie. Et il était pas le seul. Il y en avait d’autres.
– Tu m’avais dit que tu me raconterais.
– On ira manger quelque part ensemble à midi,si tu veux. On aura tout notre temps.

– Je t’écoute…
Elle a repoussé son assiette sur le côté, croisé les bras sur la table.
– C’était le nec plus ultra de l’enseignement de la peinture, Weber, à l’époque. LE professeur. Avec un grand P. Celui aux cours duquel tout le monde rêvait d’assister. J’avais postulé. Sans grande conviction. Il y avait beaucoup d’appelés et peu d’élus. Alors je te dis pas mon ravissement quand j’ai reçu sa réponse. Positive ! Je sautais partout. J’embrassais tout le monde. Avec Weber, j’allais devenir une grande artiste. Un peintre de renom. Je serais exposée partout dans le monde. J’étais sur mon petit nuage. Je me suis précipitée à Vienne, toutes affaires cessantes. Weber était très sélectif. On était cinq. Que cinq. Et j’étais la seule fille. Une fille dont le maître ne cessait pas de vanter les mérites. Dont il plaçait les qualités très au-dessus de celles de ses petits camarades. Il le disait. Il le répétait. Dix fois par jour. Ça me flattait. Et eux, évidemment, ils ne le manifestaient pas ouvertement, mais ça les rendait jaloux. Profondément jaloux. Je ne m’en rendais absolument pas compte. J’étais dans ma bulle. La goutte d’eau qui a fait déborder le vase, pour eux, c’est quand il m’a demandé de poser. Poser pour Weber ? Être peinte par Weber ? Même dans mes rêves les plus fous… Alors c’était oui, bien sûr que c’était oui ! Oui. Et encore oui. Sauf que poser pour Weber, dans le cadre de ses cours, c’était, en même temps, poser pour eux. Ce dont je me fichais éperdument. Je n’ai jamais été spécialement pudique. Et puis, de toute façon, ils ne comptaient pas. Weber allait me peindre, moi ! Je ne voyais que ça. Le reste n’avait pas la moindre importance. Ils ont été absolument odieux. Oh, pas en sa présence, bien sûr ! Non. En sa présence, ils étaient sagement installés devant leurs toiles. Ils me peignaient sans broncher. Ils écoutaient ses conseils. On leur aurait donné le bon Dieu sans confession, mais je peux te dire que, dès qu’il avait le dos tourné, j’en prenais plein la tête. Dans le registre « T’adores ça te foutre à poil, hein ? Mais si ! Mais si ! Tu crois que ça se voit pas ? Tu mouilles comme une petite folle, j’parie ! Non ? Tu mouilles pas peut-être ? » Ou bien alors… « Tu peux pas savoir comment j’ai hâte d’y avoir mis la dernière main, moi, à ce tableau ! Je l’installerai dans ma chambre, juste en face de mon lit, et je me branlerai devant ta chatte et tes nénés de petite cochonne. Parce qu’une fille comme toi, à part pour le cul, elle ne présente pas le moindre intérêt. » Je t’en passe… Et des meilleures.
– Et c’était tous ? Tous les quatre ?
– À des degrés divers. Mais le plus acharné de tous – et de loin – c’était Christopher.
– Je comprends mieux.
– Ils m’ont pourri toutes les séances. Je savais ce qu’ils avaient dans la tête. Alors leurs regards sur moi, c’était, à proprement parler, insupportable.
– T’en as pas parlé à Weber ?
– Si ! Bien sûr que si !
– Et ?
– Et c’était un artiste, Weber. Ça lui passait à cent mille lieues au-dessus de la tête, tout ça. Il n’a pas compris. Ou n’a pas voulu comprendre. Et j’ai dû renoncer, la mort dans l’âme à mes études de peinture. Je n’avais pas d’autre solution. Je n’en pouvais plus.
– Et les tableaux ?
– Ils n’avaient été qu’ébauchés, les tableaux. Ils n’ont jamais été terminés . Ni le sien ni les leurs. Du moins je le suppose. Et je l’espère.

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