mercredi 10 juin 2020

Châtiments (4)

30 avril


Comme prévu, dimanche dernier le « oui » l’a emporté haut la main. 86,12 % des suffrages. Et, dans la foulée, les premières « exécutions » ont eu lieu aujourd’hui. Un samedi. De façon à ce que tous ceux qui le souhaitaient puissent y assister. La fameuse vertu supposée de l’exemplarité.

Manon et six de ses copines sont montées à Lille voir ça « en live », comme elles disent. Elles ont eu beau être sur place dès six heures du matin, c’était déjà noir de monde. Et elles se sont trouvées tellement loin de l’estrade qu’elles ont dû suivre le déroulé des opérations sur leurs smartphones.

‒ On voyait nettement mieux. En gros plan. Et comment ils ont été pitoyables, ces pauvres types ! Ah, ça, pour s’en prendre à plusieurs à une nana isolée, ils sont forts, pleins de courage, mais faire preuve d’un minimum de dignité quand il s’agit de recevoir quelques coups de fouet en public, alors là, non, il y a plus personne. Comment on les a hués ! Et insultés. T’as entendu ça ? Ah, ce coup-là, ils vont être vaccinés.

Je ne sais pas si ça aura été aussi efficace qu’elle en semble convaincue, mais ce qu’il y a de sûr, c’est que d’une manière générale, et pour autant que j’aie pu en juger par la dizaine de reportages sur le vif qui nous ont été proposés ce soir, ils ont offert un spectacle lamentable. Et ce, que ce soit à Lille, Bordeaux, Strasbourg, Amiens ou ailleurs. Hurlements sous les fouettées, pleurs, supplications, tentatives de fuite désespérées. Ils n’ont, dans l’immense majorité des cas, fait preuve d’aucune retenue, d’aucune force de caractère.

‒ Mais comment veux-tu qu’il en soit autrement, ma pauvre maman ! Ce sont des lâches. Et ce n’est sûrement pas dans ce genre de situation qu’ils vont cesser de l’être. Maintenant au moins tout le monde saura ce qu’il en est. Ce qu’ils sont. Au boulot. Dans leur quartier. Partout. Et ça continuera à se savoir. Parce qu’elles vont circuler un sacré moment, les vidéos. Où qu’ils aillent, elles les rattraperont. Même dans dix ans. Même dans vingt ans. Mais ça, je les plains pas, hein ! Ils n’ont que ce qu’ils méritent.

Tard dans la nuit la chaîne Feminissima a proposé un document qui se voulait un peu plus approfondi sur les cinq « exécutions » qui ont eu lieu à Toulouse. Elle a notamment mis l’accent sur la personnalité des condamnés. Trois d’entre eux avaient manifestement passé toute leur adolescence dans un contexte où la femme était tenue pour quantité négligeable. Ils la méprisent ouvertement et considèrent qu’elle n’existe que pour satisfaire leurs instincts. Comme l’a dit sans détours l’un d’entre eux : « T’en vois une. Elle te plaît. Tu la prends. » Ceux-là, peut-être la peur du fouet les dissuadera-t-elle de recommencer. Probablement même. À moins qu’ils ne s’entourent à l’avenir de davantage de précautions pour perpétrer leurs forfaits. Mais, sur le fond, il n’y aura pas grand-chose de changé. En réalité, ils ne comprennent pas vraiment ce qu’on leur reproche. Pour eux, c’est clair, on porte atteinte à leur liberté de façon parfaitement arbitraire. Qu’on les mette, dans un premier temps, hors d’état de nuire en les fouettant, c’est sans doute nécessaire puisque, selon les études qui ont été faites, il n’y a que cela qui soit vraiment efficace. Il faut parer au plus pressé et protéger leurs victimes potentielles. Ce n’est, à l’évidence, pas suffisant. Ce sont leurs mentalités qu’il faudrait, le plus rapidement possible, les amener à modifier.

Si ces trois-là n’ont pas forcément conscience de la gravité des actes qu’ils commettent, en raison de l’environnement dans lequel ils ont baigné, ce qui n’excuse rien, ce n’est absolument pas le cas des deux autres qui, eux, sont éduqués. L’un est médecin anesthésiste, l’autre ingénieur. Le premier profitait de son statut professionnel pour abuser, à l’occasion, de façon ignoble, des femmes qu’il avait endormies. Quant à l’autre, son « truc », c’était d’humilier ses victimes autant que faire se pouvait. L’une de ses activités favorites consistait à s’introduire, pendant les périodes de canicule, dans les appartements de femmes seules dont les fenêtres étaient restées ouvertes, de les immobiliser et de les « travailler » longtemps en s’efforçant de les amener malgré elles au plaisir. Ces deux-là, le deuxième surtout, me révulsent profondément. Ce sont des êtres abjects. Qui ont mille et mille fois mérité la punition qu’on leur a infligée. Une punition que j’ai voulu revoir. Et c’est, je l’avoue, avec une certaine jubilation que j’ai regardé le fouet s’abattre sur leurs fesses et sur leur dos. Que je les ai vus se tortiller sous les cinglées. Que je les ai écoutés gémir et hurler à la fin. Je ne les plaignais pas. Ah, non alors ! Non ! Sûrement pas. Après ce qu’ils avaient fait ! Ces pauvres femmes ! Ces pauvres femmes qui ne demandaient rien à personne et qu’ils avaient… C’était inique. Monstrueux. Trois fois je me suis repassé la séquence. Trois fois. Et, la dernière fois, je me suis imaginé que c’était moi qui le maniais, le fouet. Avec quelle application ! Avec quelle détermination. Je ne les ménageais pas.

Ça m’a fait un bien fou.


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