mercredi 3 juin 2020

Châtiments (3)

22 avril



‒ Faut que tu voies ça ! Faut absolument que tu voies ça !

Et Manon a lancé la vidéo.

C’était un campus. Au soleil. Il y avait des étudiants allongés sur les pelouses. Tout seuls ou par petits groupes. D’autres qui déambulaient, leurs livres sous le bras. Surtout des filles. Beaucoup de filles.

‒ Je vois pas ce que

‒ Attends ! Attends ! Ça va venir

C’est effectivement venu. D’un coup. Des types. Une quarantaine. Peut-être plus. Cagoulés. Qui se sont jetés sur les filles. Avec détermination. Avec rage. Et qui les ont déshabillées. Complètement. Qui leur ont arraché leurs vêtements. Malgré leurs cris. Malgré les tentatives désespérées qu’elles faisaient pour leur échapper. Certains de leurs camarades garçons ont tenté de voler à leur secours. Ils ont été jetés à terre. Bourrés de coups de pied et de coups de poing.

J’étais horrifiée.

‒ C’est pas possible ! Non, mais c’est pas possible !

‒ Eh, si ! Tu vois où on en est ? Tu le vois ?

Ils sont partis comme ils étaient venus. En emportant robes, corsages, tee-shirts et pantalons. Petites culottes, strings et soutien-gorge qu’ils ont triomphalement brandis devant la caméra avant de les jeter à l’arrière d’une camionnette. Sur le campus des filles couraient, nues, en tous sens. Certaines au hasard, d’autres en direction des portes de la fac. Il y en avait trois ou quatre qui restaient prostrées dans l’herbe, sans réaction, sans même songer à dissimuler leur nudité, à l’endroit même où elles avaient été agressées. Il y a eu un long instant de flottement et puis des gens ont surgi des maisons avoisinantes qui avec des vêtements de fortune, qui avec des couvertures. On les a emmenées. On a entendu, dans le lointain, des sirènes de voitures de police. L’écran est devenu noir.

J’ai encore répété, effarée.

‒ C’est pas possible ! Non, mais c’est pas possible !

‒ Oh, mais attends ! Attends ! C’est pas fini.

Le temps que la caméra se cale. Un pavillon de banlieue. Au petit matin. Ça a zoomé. Sur la grille. À laquelle était suspendu un soutien-gorge rouge. Puis sur la boîte aux lettres. La culotte, assortie, y était étalée au large. Ça a encore zoomé. Sur le nom des propriétaires. « Célia et Antoine MORIN » Puis, au-dessous, en plus petit. « Valériane Morin » Ensuite, un immeuble. Là aussi, au balcon du quatrième étage, pendaient des sous-vêtements. Blancs, ceux-là. Et encore Une boulangerie. Sur la bâche de laquelle avaient été déposés deux strings et deux soutien-gorge.

Manon a précisé.

‒ Ce sont deux sœurs qu’habitent là

‒ Ce que je ne comprends pas

‒ Qu’est-ce tu comprends pas, maman ? Ça s’est pas fait au hasard, leur truc. T’y as pas fait gaffe, mais ils leur ont aussi pris leurs sacs. Ils avaient leurs adresses du coup. Forcément. Et ils y sont allés de leur petite mise en scène. Que tout le monde sache qui c’étaient ces filles à qui c’est arrivé. Pour les humilier un peu plus encore. Pour que les voisins ne puissent pas s’empêcher d’y repenser chaque fois qu’ils les croiseront.

‒ C’est dégueulasse ! C’est vraiment dégueulasse !

‒ Et en prenant bien soin de faire ça de très bonne heure. Que ça reste visible le plus longtemps possible.

Sur l’écran, il y a encore eu tout un défilé de sous-vêtements suspendus à des grilles, cloués à des portes, scotchés à des fenêtres. Et puis est apparu un type cagoulé, à la voix nasillarde. « Alors, les blaireaux ? Ça vous a plu, notre petite expédition ? Nous, oui. Énormément. On recommencera du coup. La même chose. D’autres trucs aussi. Vous verrez, on va bien s’amuser. On a plein d’idées. Ah, oui, mais c’est vrai que vous allez voter une loi dimanche. Une loi pour nous empêcher de nous amuser avec vos petites femelles comme on en a envie. Oui, ben un conseil : ramassez-les, vos femelles ! Parce qu’elles ont encore rien vu.

Elle a éteint.

‒ Alors, maman, toujours autant de scrupules ?

Non. Non. Je voterai « oui » dimanche. Sans la moindre hésitation.


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