Donc,
quelqu’un lui avait dit à Mademoiselle Lancel que le soir j’allais
faire un petit tour au café avec les copains. Et quelquefois
– souvent – le samedi aussi. Et le dimanche. Qui ?
Qui ça pouvait être ? Lambert ? Avec qui j’avais eu des
mots un jour… Il la connaissait pas… Ça tenait pas debout…
Aucun d’eux ne la connaissait… Ou alors comme ça… De loin…
Il n’y avait aucune espèce de raison que qui que ce soit soit allé
lui raconter quoi que ce soit… Non… Il y avait un mystère
là-dessous… Vraiment un mystère… Oh, mais j’en aurais le cœur
net… En attendant, j’étais dans de beaux draps… Il allait
falloir la jouer fine avec Mademoiselle Lancel… Parce que les
copains, ça, pas question que je m’en passe…
– Qu’est-ce
t’as ?
– Rien…
– Mais
si, t’as quelque chose… Je le vois bien… T’as la tête
complètement ailleurs… Depuis une heure que je suis là, c’est
tout juste si tu m’as adressé deux fois la parole… Ah, c’est
agréable, on peut pas dire…
– Non,
mais c’est parce que… il y a quelqu’un qu’est allé lui
raconter des trucs à Mademoiselle Lancel… Un copain sûrement…
Mais je sais pas lequel…
– Quels
trucs ?
– Que
le soir, de temps en temps, j’allais faire un petit tour au café…
– De
temps en temps ? T’y es tout le temps fourré…
– Oh,
quand même !
– Ah,
si ! Si ! Et c’est pas un petit tour… T’y passes
carrément des heures…
– Si
on peut même plus…
– Si
tu peux même plus quoi ? T’enfiler des bières comme des
bières… L’une sur l’autre… En racontant conneries sur
conneries…
– Oui…
Alors si je comprends bien, t’es de son côté, quoi !
– Je
suis pas de son côté, non ! Seulement je vois ce que je vois…
Et ce que je vois, c’est qu’en plus de te ruiner la santé, tu
bousilles ton avenir…
– Oui,
maman !
– Fais
bien de l’humour ! Ce que je vois, c’est qu’elle aurait
mieux fait de t’y laisser partir en pension… Qu’au moins, là,
t’aurais bossé…
– Sauf
que pour nous deux…
– Oh,
arrête, s’il te plaît, arrête avec ça ! C’est pas pour
les quelques instants dont tu me fais l’aumône par ci par là
entre deux beuveries…
– J’en
ai marre… J’en ai marre de cette bonne femme… Parce qu’on est
en train de s’engueuler, là… Et à cause d’elle… Oh, mais je
vais sûrement pas la laisser mettre la zizanie entre nous… Il va y
avoir explication… Et puis d’abord, pour commencer, ça va être
fini de me corriger comme un gamin de douze ans… Et elle pourra
bien me menacer de la pension et de tout ce qu’elle veut…
– Elle
a plus besoin de ça… Elle a pris le pas sur toi… Et elle t’en
flanquera une chaque fois qu’elle l’aura estimé nécessaire…
– Oui,
ben alors là, c’est ce qu’on va voir…
– C’est
tout vu… Et c’est ce qui peut t’arriver de mieux… Parce qu’il
y a qu’elle qui peut te mettre un peu de plomb dans la cervelle…
J’ai
attaqué bille en tête…
– Je
voulais vous dire…
– Oui ?
– J’ai
décidé… Enfin je voudrais… Je préfèrerais…
– Que ?
– C’est
plus de mon âge…
– Qu’est-ce
tu me chantes là ? De quoi tu me parles ?
– Ben,
vous savez bien…
– Je
sais rien du tout… Tu devrais t’efforcer d’être plus clair…
– Que
vous me corrigiez…
– Eh
bien ?
– Je
veux plus…
– Et
en quel honneur, s’il te plaît ?
– Parce
que…
– Ah,
ça, c’est un argument, on peut pas dire… Bon, mais je vais être
très claire… Pour ça, comme pour le reste, c’est moi qui
décide… Et je vais te le prouver… D’abord tu commences par
baisser les yeux…
J’ai
obéi… À contre-cœur, mais j’ai obéi…
– Et
maintenant tu te déculottes…
– Mais…
– J’ai
dit : tu te déculottes… Et tu te dépêches ! Alors ?
Fais attention, Damien ! Fais bien attention !
Et
je me suis déculotté…
Elle
m’a projeté, d’une grande bourrade dans le dos, au pied du
canapé…
– Celle-là,
tu vas m’en dire des nouvelles…