mardi 12 mai 2015

Studieuses vacances: récit de Damien (6)

Donc, quelqu’un lui avait dit à Mademoiselle Lancel que le soir j’allais faire un petit tour au café avec les copains. Et quelquefois – souvent – le samedi aussi. Et le dimanche. Qui ? Qui ça pouvait être ? Lambert ? Avec qui j’avais eu des mots un jour… Il la connaissait pas… Ça tenait pas debout… Aucun d’eux ne la connaissait… Ou alors comme ça… De loin… Il n’y avait aucune espèce de raison que qui que ce soit soit allé lui raconter quoi que ce soit… Non… Il y avait un mystère là-dessous… Vraiment un mystère… Oh, mais j’en aurais le cœur net… En attendant, j’étais dans de beaux draps… Il allait falloir la jouer fine avec Mademoiselle Lancel… Parce que les copains, ça, pas question que je m’en passe…

– Qu’est-ce t’as ?
– Rien…
– Mais si, t’as quelque chose… Je le vois bien… T’as la tête complètement ailleurs… Depuis une heure que je suis là, c’est tout juste si tu m’as adressé deux fois la parole… Ah, c’est agréable, on peut pas dire…
– Non, mais c’est parce que… il y a quelqu’un qu’est allé lui raconter des trucs à Mademoiselle Lancel… Un copain sûrement… Mais je sais pas lequel…
– Quels trucs ?
– Que le soir, de temps en temps, j’allais faire un petit tour au café…
– De temps en temps ? T’y es tout le temps fourré…
– Oh, quand même !
– Ah, si ! Si ! Et c’est pas un petit tour… T’y passes carrément des heures…
– Si on peut même plus…
– Si tu peux même plus quoi ? T’enfiler des bières comme des bières… L’une sur l’autre… En racontant conneries sur conneries…
– Oui… Alors si je comprends bien, t’es de son côté, quoi !
– Je suis pas de son côté, non ! Seulement je vois ce que je vois… Et ce que je vois, c’est qu’en plus de te ruiner la santé, tu bousilles ton avenir…
– Oui, maman !
– Fais bien de l’humour ! Ce que je vois, c’est qu’elle aurait mieux fait de t’y laisser partir en pension… Qu’au moins, là, t’aurais bossé…
– Sauf que pour nous deux…
– Oh, arrête, s’il te plaît, arrête avec ça ! C’est pas pour les quelques instants dont tu me fais l’aumône par ci par là entre deux beuveries…
– J’en ai marre… J’en ai marre de cette bonne femme… Parce qu’on est en train de s’engueuler, là… Et à cause d’elle… Oh, mais je vais sûrement pas la laisser mettre la zizanie entre nous… Il va y avoir explication… Et puis d’abord, pour commencer, ça va être fini de me corriger comme un gamin de douze ans… Et elle pourra bien me menacer de la pension et de tout ce qu’elle veut…
– Elle a plus besoin de ça… Elle a pris le pas sur toi… Et elle t’en flanquera une chaque fois qu’elle l’aura estimé nécessaire…
– Oui, ben alors là, c’est ce qu’on va voir…
– C’est tout vu… Et c’est ce qui peut t’arriver de mieux… Parce qu’il y a qu’elle qui peut te mettre un peu de plomb dans la cervelle…

J’ai attaqué bille en tête…
– Je voulais vous dire…
– Oui ?
– J’ai décidé… Enfin je voudrais… Je préfèrerais…
– Que ?
– C’est plus de mon âge…
– Qu’est-ce tu me chantes là ? De quoi tu me parles ?
– Ben, vous savez bien…
– Je sais rien du tout… Tu devrais t’efforcer d’être plus clair…
– Que vous me corrigiez…
– Eh bien ?
– Je veux plus…
– Et en quel honneur, s’il te plaît ?
– Parce que…
– Ah, ça, c’est un argument, on peut pas dire… Bon, mais je vais être très claire… Pour ça, comme pour le reste, c’est moi qui décide… Et je vais te le prouver… D’abord tu commences par baisser les yeux…
J’ai obéi… À contre-cœur, mais j’ai obéi…
– Et maintenant tu te déculottes…
– Mais…
– J’ai dit : tu te déculottes… Et tu te dépêches ! Alors ? Fais attention, Damien ! Fais bien attention !
Et je me suis déculotté…
Elle m’a projeté, d’une grande bourrade dans le dos, au pied du canapé…
– Celle-là, tu vas m’en dire des nouvelles…

Studieuses vacances: récit de Mademoiselle Lancel (6)


Mais c’est qu’il se rebellait ! Petit coq dressé sur ses ergots… Qui voulait… Qui avait décidé… Je ne le corrigerais plus… C’était fini… Et puis quoi encore ! Il voulait l’affrontement ? Il allait l’avoir… Il n’y en a pas eu… Il a suffi que je hausse un peu le ton pour que la baudruche se dégonfle… Pour qu’il file aussitôt droit… C’était prévisible : il n’a pas de moëlle ce garçon… Pas de colonne vertébrale… Il lui faut quelqu’un, constamment, derrière lui, pour le forcer à se tenir debout… Et droit… Je lui ai néanmoins fait payer ses velléités de rébellion au prix fort. Que lui passe, une bonne fois pour toutes, cette détestable manie de faire des caprices…

Je lui ai d’abord infligé une correction particulièrement appuyée… Et au martinet cette fois-ci…Une correction que j’ai fait interminablement durer… Malgré ses supplications…
– Oh, s’il vous plaît ! Arrêtez ! S’il vous plaît… Pitié ! Je le ferai plus… Arrêtez !
Je ne l’ai interrompue que lorsque je l’ai estimée, moi, suffisante… Pour exiger alors qu’il s’agenouille, nu, pour solliciter mon pardon… Que je ne lui accordé, du bout des lèvres, qu’après le lui avoir longuement fait attendre…

Il a voulu se relever…
– Non, non… Tu restes comme ça… Tu es très bien comme ça… Et tu écoutes ce que j’ai à te dire… Ce que j’ai, de mon côté, décidé… Alors d’abord tu vas dire à ta petite amie, à Émilie, que je veux la voir… Dès que possible…
– Hein ? Mais pour quoi faire ?
– Tu le sauras bien assez tôt…
– Peut-être qu’elle voudra pas venir… Elle vous connaît pas…
– Oui, ben alors ça ! Tu te débrouilles comme tu veux, mais il faut qu’avant ce soir elle ait franchi cette porte… C’est bien compris ?
Il a fait signe que oui… C’était compris, oui…
– Bon, mais on va quand même faire en sorte que tu n’oublies pas…
– Et j’ai repris le martinet…
– Oh, non !
– Bien sûr que si ! Tourne-toi !

Il l’avait accompagnée…
– Qu’est-ce tu fais là, toi ?
– J’ai pensé…
– T’as pas à penser… T’as à faire ce qu’on te dit… Un point, c’est tout… Tu rentres chez toi… Et n’en profite pas pour te précipiter au café… Parce que je le saurai…
Il a filé sans demander son reste…
Émilie a hoché la tête…
– Vous en faites vraiment tout ce que vous voulez, hein…
– Oui, oh, avec lui c’est pas bien compliqué… Tu pourrais, toi aussi, si tu voulais… Tu devrais d’ailleurs… Un homme, si on prend pas le dessus, on finit toujours, tôt ou tard, par s’en mordre les doigts…
– Ben oui, mais…
– T’y vas en douceur… Progressivement… D’autant que je vais continuer à te déblayer largement le terrain… Parce que… Il est inquiet là, non ?
– Ah, ça ! Il a passé l’après-midi à se demander ce que vous pouvez bien me vouloir… Et à me le demander… Sûr que ce soir je vais avoir droit à un interrogatoire en règle…
– Oui, ben quand il va savoir…
– C’est quoi ?
– Tu pourras lui dire que je t’ai demandé de me signaler systématiquement ses incursions au café…Fréquence et durée…
– Il va pas apprécier…
– Ça, je me doute…
– Il y croira pas que je vais vous le dire… Je le vois d’ici… « Tu me ferais pas ça, hein, ma chérie ? »
– À toi de te montrer déterminée… Inébranlable… Tu me le diras…
– Il y croira pas quand même…
– Mais une fois que tu l’auras fait…
– Ça changera rien… Vous savez pas quelle importance ça a, pour lui, les copains…
– Je me doute, si ! C’est bien pour ça qu’il faut agir… Dans son intérêt… Dans l’intérêt de ses études… De son avenir… Et dans ton intérêt à toi… Le temps qu’il ne passera pas au café il t’en consacrera la majeure partie…
– Et vous ferez quoi s’il y va quand même au café ? Vous lui donnerez la fessée ? Ça y changera quelque chose, vous croyez ?
– Si je la lui donne devant toi, sûrement, oui…