mercredi 24 avril 2013

Le Centre2 ( 16 )


Bastien était dans son box…
– Qu’est-ce tu fais ?
Il a sursauté… Tenté de fermer précipitamment la page…
– Rien… Rien… Je…
– Pousse-toi ! Laisse-moi la place… Jouer au poker en ligne ! Non, mais franchement ! Tu n’as vraiment rien de mieux à faire ?! Ah, je sens que je vais avoir du travail avec toi ! Et ça ? Qu’est-ce que c’est que ça ? Eh bien réponds !
– Mon journal…
– Ton journal ! Tu en es encore là à ton âge ? Eh bien ça promet… Mais c’est que ça parle de moi en plus on dirait… Bon… Mais j’ai pas le temps… Je verrai ça à tête reposée… T’as une clé USB ? Oui ? Donne ! Là ! Et tes documents aussi je prends tant que j’y suis… J’éplucherai tout ça… Que tu n’aies plus aucun secret pour moi… Tu n’as pas à en avoir…
– J’en aurai pas… Je vous promets…
– Bon, mais c’est pas tout ça… Dis-moi, Bastien… Le domaine dans lequel tu rêves, depuis toujours, de réussir… De prouver quelque chose… Ce que tu vaux… c’est quoi ?
– C’est… Je… Ça dépend… Je sais pas…
– Tu sais pas, non… C’est clair… Tu sais pas… Mais je vais te le dire, moi, ce que c’est… C’est juste que, dans ta petite tête, tu as besoin de te sentir au-dessus des autres… Au-dessus de tout le monde… Très au-dessus… Peu importe comment… Alors il y a des jours tu t’imagines être un grand acteur… Tes films font des millions d’entrées… On te pourchasse dans la rue pour avoir des autographes… Tu multiplies les interwiews… Ou bien tu es devenu un écrivain célèbre… Qui a reçu tous les prix possibles et imaginables… Que des étudiants friands de conseils viennent consulter depuis les universités étrangères les plus renommées… À moins que tu ne te sois lancé dans la politique… Conseiller général… Député… Tu es parvenu jusqu’à la fonction suprême… Tu as le pouvoir… Tu en jouis… Tu t’en enivres… C’est pas ça ?
– Un peu, si !
– Beaucoup tu veux dire, oui ! Et quel orgueil ! Non, mais quel orgueil ! Mais ça on va t’en corriger… Je peux t’assurer qu’on va t’en corriger… Au propre comme au figuré… Et c’est même tout de suite qu’on va commencer… Tu sais comment ?
– Je me doute, oui…
– Eh bien allez alors ! Qu’est-ce que tu attends ?

– Tu fais déjà des progrès… Si, c’est vrai, hein ! T’as beaucoup mieux supporté… Beaucoup moins grimacé et gigoté… Je ferai quelque chose de toi, tu verras… Quelque chose de bien… Je te dirai… Le moment venu… En attendant plus question de te livrer à ces rêveries chimériques et stériles… C’est bien compris ?
– C’est compris, oui…

– Et… Je t’ai déjà posé la question, mais tu comptes en faire quoi au juste de ce Bastien ?
– Je sais pas encore… Je verrai… Je vais commencer par lire son journal… Jeter un coup d’œil sur ce qu’il y a dans son ordi… Ça me permettra de cibler… Au plus près… Ce qu’il y a de sûr en tout cas, c’est que je vais pas le ménager…
– Ce serait peut-être une solution… pour mon Léonard… Ça l’occuperait… Et je l’aurais pas en permanence par les pieds à me contempler avec son air de chien battu enamouré…
– Ça suffit à son bonheur…
– Oui, ben pas au mien… Finalement comment il m’a piégée celui-là ! Parce que la seule solution ce serait que je le congédie… Une bonne fois pour toutes… Seulement il me fait trop pitié… Il m’émeut dans un sens…
– Ce que tu lui fais payer… Cher…
– Et il ne m’en est, chaque fois, qu’un peu plus dévoué… Corps et âme… On n’en sortira jamais…
– Qu’est-ce qu’il y a, Ludivine ? T’en fais une tête…
– Non… Rien… Mais je me dis que c’est quand même idiot… Parce que Xavier finalement…
– Il est pas trop tard…
– Après ce qu’il m’a fait…
– Ni plus ni moins que ce qu’ils nous font tous…
– C’est pas une raison…
– Pour moi, si ! Et puis, de toute façon, il est marié…
– Qu’est-ce que ça peut faire ?
– Oh, ben quand même !
– Ça n’aura peut-être qu’un temps… Parce qu’à ce qu’il paraît dans le groupe rouge, à côté, elle le fait tant et plus cocu… Qu’il faut voir ça…

mercredi 17 avril 2013

Le Centre2 ( 15 )


Bénédicte brandissait une grande enveloppe marron…
– Qu’est-ce que c’est ça, les filles ? Hein ? Qu’est-ce que c’est que ça ?
– On en sait rien, nous… Comment tu veux ?
– Un CDI… Eh oui ! Il a tenu parole notre petit Mickaël…
– Il a pas perdu de temps, dis donc !
– Faut croire qu’il est pas trop rassuré…
– Oh, alors ça… Ça fait pas l’ombre d’un doute… Et donc… Donc c’est le moment d’enfoncer un peu plus le clou…

– Tu sais pourquoi je t’ai fait venir ?
– Ben…
– D’abord pour te signifier que j’ai bien reçu, comme convenu, un contrat d’embauche paraphé en bonne et due forme par ta patronne… Et ensuite pour qu’on se mette bien d’accord tous les deux à ce sujet : aux yeux de tout le monde – de mes collègues comme des clients – je serai une employée comme les autres… Ni plus ni moins… Mais tu me rendras quotidiennement des comptes… Et gare à toi si tu omets quoi que ce soit d’essentiel… C’est bien compris ?
– Oui…
– Tu y auras d’autant moins intérêt que tu seras placé sous haute surveillance… À la moindre incartade, au moindre inadmissible écart de conduite avec l’une ou l’autre des femmes de l’établissement, je déballe tout… Tout ce que je sais… Et tout ce que tu vas encore nous raconter… Parce que tu n’en as certainement pas fini avec les confidences… Non ? Je me trompe ?
– C’est-à-dire…
– Que tu es dans une situation extrêmement inconfortable… Oui… Ça on a bien compris… Tu es dans le brouillard… On est au courant de quoi au juste ? Tu n’en as pas la moindre idée… Et tu navigues à vue… Entre le risque de nous dévoiler ce qu’on ignore et celui de garder le silence sur ce qu’on sait… Et de t’exposer, du coup, à ce que le couperet tombe… À ce que ce soit nous qui fassions des révélations très embarrassantes pour toi aux principales intéressées… Et pas seulement à elles… Alors un conseil : te pose pas tant de questions… Et dis-nous tout… Absolument tout… Soulage ta conscience… Tu t’en trouveras bien, tu verras… Allez, on t’écoute…
– J’ai tout dit…
– Ben voyons !
– Si, c’est vrai, hein !
– Tu sais très bien que non… Bon, mais on va te rafraîchir la mémoire… Il y a plein de choses qui vont te revenir après, tu verras… Allez ! Chut… Il se laisse faire ce grand garçon… Sinon… Là… Et on bouge plus…


– Alors ? Ça te revient ?
– Peut-être, oui…
– À la bonne heure… Donc…
– C’était il y a longtemps… Une bonne dizaine d’années…
– Non, non… Bouge pas ! Reste là… En travers de mes genoux… T’es très bien là… Et puis on sait jamais… Si t’avais encore des trous de mémoire… Bon, mais elle s’appelait comment ?
– Marjorie… Une fille d’une beauté ! De Pornichet elle était… Où je passais mes vacances et où elle s’ennuyait à mourir… Elle ne rêvait que d’une chose… Paris, Paris et encore Paris… Elle ne jurait que par ça… Les magasins… Les cinémas… Les lumières…
– Je vois… Et tu lui as promis de l’emmener là-bas avec toi… Histoire de pouvoir coucher avec… Et quand t’as eu ce que tu voulais… Plus question de Paris…
– Non, mais si ! Je l’ai emmenée, hein ! Seulement…
– Seulement ?
– Ça l’a pas fait… Deux mois ça a duré tous les deux – un peu plus de deux mois – et puis…
– Tu l’as jetée comme une malpropre…
– Quand ça le fait pas…
– Sauf que tu le savais… Dès le début tu le savais que ça le ferait pas… Que tu n’éprouvais pour elle que du désir… Et que le jour où ton désir se serait émoussé…
– On n’est jamais sûr de rien…
– Oui, enfin ça ! Non… Tu ne pensais qu’à ton petit intérêt immédiat à toi… Ton petit plaisir à toi… Quitte à mettre une pagaille monumentale dans sa vie à elle… Ce qui s’est bien évidemment produit… Non ?
– Un peu…
– Beaucoup tu veux dire, oui… Parce qu’elle avait du travail à Pornichet, je suppose… Un travail que tu lui as fait perdre…
– Elle en aura retrouvé…
– T’en sais rien du tout… Et son petit ami ? Elle avait bien un petit ami quand tu l’as rencontrée, non ?
– Peut-être… Elle m’a pas dit…
– Menteur ! Bon… Ben on va en remettre une couche… Une bonne couche… Amplement méritée… Non ? Tu crois pas ?
– Si !
– À la bonne heure… Tu deviens raisonnable… 

mercredi 10 avril 2013

Le Centre2 ( 14 )


– Tu es bien douillet…
– Oh, non, non, mais…
– Ne nie pas l’évidence… J’ai horreur de ça…
– Je… Je suis douillet, oui… Vous avez raison…
– Évidemment que j’ai raison… J’ai toujours raison… Et j’ai de la suite dans les idées… Non ? Tu crois pas ?
– Certainement…
– Et qu’est-ce que je vais te demander ?
– Pourquoi je suis là…
– Tu es très perspicace… Et pourquoi tu es là ?
– Je vous ai dit…
– Tu es décidément très têtu, hein ? Une vraie tête de lard… Mais moi aussi… Alors ? Je t’écoute…
Il est resté silencieux, bras ballants, les yeux fixés sur le bout de ses chaussures…
– Bien… Alors on va s’y prendre autrement… Tu es marié ? En couple ?
– Non…
– Tu l’as été ?
– Non plus, non… Enfin pas vraiment…
– J’en étais sûre… Et tu fais quoi dans la vie ?
– Comptable… Aide-comptable…
– Et ça te convient ? Tu es content ?
– Il faut bien vivre…
– Et c’est là toute ton ambition ? Aligner des chiffres à longueur de journée…
– Mais non, mais…
– Ah, non ? Tu t’occupes à quoi alors le reste du temps ? C’est quoi ta vie ? Tu regardes le foot à la télé… Un porno le soir avant de t’endormir… Le week-end tu vas sagement manger chez papa-maman… Et puis voilà… Non ? C’est pas comme ça que ça se passe ?
– Un peu, si, mais…
– Mais quoi ?
– Un jour…
– Un jour… Ben voyons ! Un jour… Il se passera quoi un jour ? Rien… Et tu le sais très bien… Tu es englué dans ta routine… Tu as des rêves, oui… Des projets… Depuis des éternités…Tu les caresses… Tu te berces de l’illusion que tu vas les réaliser… Mais tu ne fais rien – absolument rien – pour leur donner ne serait-ce qu’un début de commencement de réalisation… Et je suis prête à parier qu’à quatre-vingts ans tu en seras toujours au même point…
– Non… Non… Je…
– Bien sûr que si ! C’est quoi qui te retient ? La paresse ? La peur d’échouer ? Celle de te trouver confronté, sans pouvoir tricher, à toi-même ? Pas facile de devoir se regarder en face, hein ? On recule… On tergiverse… On s’invente mille bonnes raisons… On en est – il faut bien le dire – le plus souvent incapable… Vous en êtes, vous, les hommes, dans l’immense majorité des cas, totalement incapables… À la fois trop fragiles et trop imbus de vous-mêmes… Ce qui revient finalement au-même… Et vous paralyse complètement… Ce qu’il vous faut, c’est une poigne… Quelqu’un – une femme, parce qu’elles n’ont pas peur d’elles-mêmes – qui vous prenne en mains et qui vous contraigne à vous colleter avec vous-mêmes… Et vous le savez… Tout au fond de vous-mêmes vous le savez… Tout au fond de toi-même tu le sais… Ou du moins tu le soupçonnes… Non ?
– Si… Un peu…
– Et du coup la raison de ta présence ici… Elle est là la raison… Quelque chose t’a poussé… Quelque chose de plus fort que toi… D’irrésistible… Qu’il t’était impossible de t’avouer… Le secret espoir en fait qu’une femme allait te prendre enfin sous sa coupe… Te guider et te diriger… Te délivrer de la terreur d’être toi-même… Tu ne dis rien ? Tu ne réponds rien ?
– Non… Non, mais…
– Mais quel soulagement dans tes yeux ! Quelle reconnaissance !
– Je…
– Tu es à moi…
– Oui…
– Je vais exiger beaucoup de toi, tu sais ! Énormément…
– Tout ce que vous voudrez… Tout…

– Eh ben dis donc, toi ! Pour un coup d’essai…
– Oui… Elle a fait fort…
– Et c’est elle qu’a raison… On n’ose pas assez finalement… On pourrait obtenir beaucoup d’eux si on voulait s’en donner la peine…
– Et tu comptes en faire quoi de ce brave Bastien si c’est pas indiscret ?
– Le faire briller de tous ses feux… Il ne m’en appartiendra que davantage… 

mercredi 3 avril 2013

Le Centre2 ( 13 )


– Alors ça y est ?! Tu te lances… Toute seule cette fois… Comme une grande…
– Ça y est, oui…
– Et lequel t’as choisi ?
– Bastien…
– Ça devrait le faire… Avec lui ça devrait le faire… Et… perspectives à long terme alors ?
– Je verrai… Ça va dépendre…
– Prends le pas sur luitout de suite, hein… D’entrée de jeu… Le laisse pas souffler…

Il était en train de tondre la pelouse devant l’entrée principale… Je me suis approchée… Assise sur le banc à gauche du perron… Et je l’ai regardé passer, repasser avec la tondeuse…
– Quelle chaleur, hein !
Il a acquiescé… D’un bref signe de tête… Et il a poursuivi sa route…
– Tu devrais te mettre à l’aise… Tu serais mieux…
Il s’est arrêté, interloqué… A hésité… Continué à tondre…
– T’as entendu ce que je t’ai dit ?
Il avait entendu, oui…
– Eh bien alors ?
Il s’est immobilisé… A retiré sa chemise… Un bref regard dans ma direction… Le pantalon aussi, oui… Un autre… Et le slip… Bien sûr le slip… Évidemment le slip…
– Viens là… J’ai à te parler…
– Mais…
– Tu finiras après…
Il a fait mine de s’asseoir à mes côtés, sur le banc…
– Et puis quoi encore ? Non, non… Tu restes debout… Et devant moi, là… Que je te voie bien…
Ce qu’il a fait… Il a esquissé le geste de se dissimuler avec ses mains… A renoncé au dernier moment… J’ai éclaté de rire… Il est devenu écarlate… J’ai ri de plus belle…
– Bon… Alors raconte-moi…
– Que je vous raconte ?! Mais que je vous raconte quoi ?
– D’abord ce que t’es venu faire ici…
– Oh, rien… C’était juste comme ça… J’en avais entendu parler… Alors je me suis dit : pourquoi pas…
– Par curiosité en somme…
– Voilà, oui…
– Tous… Tous vous répondez la même chose… Sauf que ça tient pas debout... On ne vient pas dans ce genre d’endroit – et en sachant à quoi on s’expose en plus – uniquement par curiosité… Il y en a toujours d’autres des  raisons… Et d’excellentes… Alors… Pour toi… Lesquelles ?
– Mais non… Non… C’est ce que je vous ai dit… Il y a pas autre chose…
– Tu veux faire ta mauvaise tête… Très bien… Tu l’auras voulu… J’y mettrai le temps qu’il faudra, mais tu vas parler… Je t’assure que tu vas parler…
– Je vous assure que…
– Tais-toi, va ! Ça vaudra mieux… Dis-moi plutôt… Tu es complètement passé à travers les mailles du filet jusqu’à présent… Aucune de nous ne s’est vraiment intéressée à toi… Comment t’expliques ça ?
– Je sais pas… Je…
– De deux choses l’une : ou bien tu es très malin et tu as réussi à te faufiler un peu partout sans attirer l’attention… Ou bien tu es tellement insignifiant, tellement transparent que personne ne remarque seulement ta présence… C’est plutôt ça d’ailleurs… Non ? À ton avis ? Et viens pas encore me dire que tu sais pas…
– Je sais… ce que vous avez envie que je réponde…
– À la bonne heure… Eh bien dis-le alors…
– Je suis insignifiant… Parfaitement insignifiant…
– Au moins tu es lucide… C’est déjà ça… Tu es insignifiant, oui… Et c’est pour te donner l’illusion de ne pas l’être que tu te promènes à poil devant les dames ? Tu crois vraiment que c’est comme ça que tu peux te rendre intéressant ?
– Hein ? Mais c’est vous… C’est vous qui m’avez demandé… Qui me l’avez dit de me mettre tout nu…
– Moi ?! Ose me répéter ça… Regarde-moi droit dans les yeux et ose me soutenir en face que je t’ai demandé une chose pareille… Ose !
– Vous m’avez rien demandé, non…
– J’aime mieux ça… Bon… Eh bien rhabille-toi alors !
Je me suis levée… Ai délibérément posé le pied sur son slip et son pantalon… Il a enfilé ses chaussettes… Sa chemise… Réajusté son nœud de cravate… Nous a alternativement regardés son pantalon et moi… S’est baissé…
– Pas touche ! Parce que reconnais avec moi que tu as amplement mérité d’être puni… Et pour avoir menti et pour m’avoir infligé, près d’une demi-heure durant, le spectacle de ton affligeante nudité… Allez !